Fin de la guerre ? (1/2)

Publié le 06 novembre 2012 par Egea

Un constat contemporain se répand : celui de la fin de la guerre. Non pas en tant qu’objet puisqu’il y a toujours des guerres, mais comme moyen efficace (donc utile) de résoudre des conflits d’intérêt.

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La chose a plus particulièrement cours en Occident, ce qu’on appelait autrefois le Nord, ou le premier monde. Le « Sud » a moins de pudeurs et continue toujours à employer ces méthodes de barbares. De moins en moins, d’ailleurs. Et avec, lui aussi, moins d’efficacité. Toutefois, les talibans ont réussi (ou sont en train d’y parvenir) à tenir en échec la puissance américaine, entretemps partie d’Irak, où elle avait gagné la guerre et perdu la paix. Les rebelles du nord Mali viennent de faire sécession, tandis que les confins orientaux du Congo subissent, depuis de longues années, des bandes armées qui « règnent » sur la province.

Dans ces trois cas, que constate-t-on ? un Etat faible et, en fait, le plus souvent, pas d’Etat.

Désormais, la guerre ne subsiste qu’en l’absence d’Etat, dans ces zones grises qui ont tendance à se multiplier, à coup de paradis fiscaux et de démembrement et autres fractionnements. Ceux-ci s’observent aussi dans nos contrées du premier et du deuxième monde, et pas seulement du troisième, même si dans celui-ci, les sécessions réussissent (Erythrée, Somaliland, Soudan du sud, Mali du Nord, Timor, bientôt Kurdistan ex-irakien).

Dans le deuxième, en tout cas, les Etats sont là et prennent les moyens de contrer ces tendances centrifuges : ainsi des Russes dans le Caucase, ou des Chinois au Tibet et au Xinjiang.

Dans le troisième, les sécessions menacent : ce fut l’ex-Yougoslavie, ou plus récemment la lega norde en Italie (à bout de souffle à cause d’une corruption encore plus excessive que celle de l’Etat central), ce sont maintenant la Flandre, la Catalogne, le pays Basque espagnol, l’Ecosse : autant de provinces se croyant riches et refusant de payer la solidarité avec le grand tout. Forcément oppressif, alors qu’il est faible.

Car voici le paradoxe du premier monde : il ne fait plus la guerre. On m’opposera les interventions américaines : mais justement, leur peu de succès entretient tout le monde dans l’idée que la guerre est inefficace : et si c’était juste la façon américaine de conduire la guerre qui était inefficace ? On m’opposera l’intervention récente en Libye : à ceci près que ce ne fut pas une guerre, ou plus exactement une guerre totalement dissymétrique, puisque l’une des parties ne faisait pas la guerre et se laissait matraquée sans riposter ; et qu’en plus, les assaillants ne prenaient aucun risque, attaquant du ciel et ne laissant au sol que des supplétifs locaux. Dans les zones fluides, la technologie, dans les zones striées, les barbares. Bref, le premier monde ne fait plus la guerre.

Peu importe, au fond, les raisons de cette abstinence.

Remarquons simplement que si l’Etat fait traditionnellement la guerre, la guerre fait l’Etat. Et que s’il n’y a plus de guerre, il risque de ne plus y avoir d’Etat. Ce qui suscitera, logiquement, un renouveau de la guerre, dans une forme d’anarchie libertaire et individualiste qui est bien la marque du premier monde. Au fond, l’angélisme irénique nous ramène à la violence et au chaos, dans une sorte de monde hobbesien qui expliquait, déjà, que le Léviathan était le seul moyen de surmonter cette anarchie.

Voici pour la vision pessimiste. La vision optimiste constate que malgré tout, les conflits se résolvent dans une sorte de méta résilience. Qu’il y a une fin de l’histoire. Que la « bataille décisive » n’est qu’une illusion. Et que la guerre « traditionnelle » est disparue, car les conflits ont trouvé de nouvelles formes d’expression.

Cela signifie aussi que la fin de la guerre entraîne la fin du politique. L’une n’étant plus la continuation de l’autre (ou inversement), plus de guerre, plus d’Etat, plus de politique. N’est-ce pas ce qu’on observe tous les jours ?

(à suivre)

O. Kempf