En DVD et Blu-ray : Pour François Truffaut, "Dire que le cinéma anglais est mort serait excessif puisque aussi bien il n'a jamais existé. Le film anglais actuel est incolore, inodore et sans saveur particulière". Au-delà de son aspect provocateur - nous sommes alors dans les années 50, et Truffaut, tel un jeune Turc, tente de s'imposer face à une critique conventionnelle – n'a sans doute jamais vu Colonel Blimp, cette quasi-fresque épique britannique de 1942, qui célèbre deux thèmes chers au cinéaste français : l'amitié et l'amour. Redécouvert au mitan des années 90 avec l'appui de Martin Scorsese et Bertrand Tavernier, Colonel Blimp n'en finit pas d'étonner et de ravir tous les cinéphiles. Et désormais, grâce à Carlotta, il va pouvoir enfin occuper l'indispensable place qu'il mérite dans vos rayons de DVD-BRthèques.
Ode à l'amour et l'amitié
Premier film du duo Powell-Pressburger – suivront notamment les splendides Les Chaussons rouges et Le Narcisse noir – Le Colonel Blimp est tourné en 1942, en plein conflit mondial. Centré sur une figure caricaturale censée dénoncer les errements des militaires de haut rang, le film relate en flash-back les 40 années qui ont précédé – guerre des Boers, Première guerre mondiale, Dépression de 1929. Moins pour en faire une geste héroïque à la gloire des valeurs de l'armée britannique que pour célébrer des valeurs intemporelles, l'amitié et l'amour.
Trois rôles pour une seule actrice
Car au-delà de la figure de vieille ganache britannique, le film se centre sur l'amitié qui se noue entre deux officiers, l'un britannique, l'autre allemand, de la guerre des Boers à la Seconde guerre mondiale, en passant par la Première guerre mondiale. Surtout, coup de génie du duo de cinéastes, entre ces deux hommes aux caractères diamétralement opposés, il y a une femme. Ou plutôt trois femmes, incarnées par la même actrice – la très belle Deborah Kerr. Trois visages, trois figures du bonheur et de l'amour que la vieille baderne britannique va perdre trois fois, par déni, par aveuglement, par étourderie. Et le film de se transformer en ode élégiaque au présent, à la nécessité de vivre pour son compte, sans se réfugier dans un passé héroïque ou dans un avenir hypothétique.
Fresque ironique et mélancolique
Magnifiées par le Technicolor (que l'on doit à Georges Périnal, assisté d'un certain Jack Cardiff), ces 2h45 de destinées sentimentales passent comme une lettre à la poste. Et paradoxalement, sans le moindre combat, ni de coups de feu, les cinéastes préférant s'attarder sur les paysages après la bataille, ou les scènes d'intimité entre ces trois personnages. Scènes qui permettent à Pressburger d'égaler le brio des dialogues de Lubitsch. C'est dire la singularité de cette oeuvre : ni tout à fait fresque de guerre, ni complètement film sur l'amour et l'amitié – et encore moins film de propagande, preuve en est l'interdiction dont il fut frappé lors de sa sortie en Grande-Bretagne par Churchill – Colonel Blimp s'avère avant tout une fresque élégiaque ironique et mélancolique sur le temps qui passe. Et dont l'ambition et la leçon finale le rapprochent étrangement d'un film plus contemporain, Les Vestiges du Jour, de James Ivory.
Splendide master, donc, accompagné de bonus comme très souvent chez Carlotta irréprochables : une introduction de Martin Scorsese, grâce à qui le duo Powell-Pressburger est sorti de l'oubli ; un entretien avec la veuve de Michael Powell, Thelma Schoonmaker – également monteuse de Martin Scorsese – revient sur l'oeuvre du duo ; enfin, des témoignages de collaborateurs reviennent sur les tentatives d'interdiction du film, ainsi que sur sa tardive réhabilitation.
Travis Bickle