Bing ! Je fermai la dernière page de ce roman en me reprenant un uppercut. Le dernier d’une belle série tant la lecture de ce bouquin avait été comparable à une sorte de passage à tabac permanent, la douleur en moins, la surprise en plus. Putain mais quel bouquin !
Et pourtant c’était pas gagné. Quand Sylvain P (pour respecter son anonymat, je l’appellerai Sylvain P) m’a conseillé de lire la Horde du contrevent d’Alain Damasio, j’ai noté gentiment le titre dans la rubrique “à lire” de mon carnet en me disant qu’éventuellement si vraiment un jour peut-être…
La Fantasy manquait de fantaisie
Faut dire que la fantasy j’en avais bouffé depuis l’âge de 11 ans. J’avais commencé à prendre du poil en lisant R.E. Howard, appris à aimer les galipettes avec Fritz Leiber, été érotisé avec Jack Vance et appris à aimer randonner dans les montagnes et forets avec JRR Tolkien.
Seulement, je n’en lisais plus de fantasy depuis des années. Depuis Harry Potter, depuis que la fantasy était devenue un truc grand public pour ados. Parce que la fantasy moderne à l’américaine, du genre Dongeons & Dragons, Eragon, (et même les derniers David Heddings), est tellement insipide face à un bon Moorcock. Parce que la fantasy à la française ressemble tellement à une mauvaise partie de jeu de rôles conçue par des ados sans expérience de la vie, parce que les personnages de ces romans sont de telles caricatures…
Je n’en peux plus du héros débutant, faible mais avec un immense pouvoir intérieur qu’il ne dévoilera qu’à la fin du roman (ou des 15 volumes) en tuant sa Némésis maléfique. Pour un Georges Martin (Games of Thrones), combien de romans inutiles dont on devine la fin dés les premières pages ? Alors la fantasy est devenu un sous-genre littéraire. Une soupe dans laquelle surnage quelques dragons ou elfes pour vendre des mots qui seront consommés entre un jeu vidéo et une série télé.
Bref, quand Sylvain P m’a dit de lire Damasio, j’ai été poli, mais je n’y ai pas forcément cru.
La horde qui te fout des baffes
Mais la vie est faite de surprises et de coïncidences qui n’en sont pas, comme me le disait Carl Jung à la fin de sa vie. Et lors d’une de mes virées chez un bouquiniste après une semaine stressante (oui, certains vont au Secret Square pour évacuer leur stress, moi je vais chez les bouquinistes, ça me coute moins cher et je peux ramener à la maison ma dose de fantasme). Donc lors d’une virée chez un bouquiniste je tombe sur la horde du contrevent, 3€50. C’est un signe. Merci Jung ! J’achète et je consomme immédiatement sur un coin de table (définitivement impossible au Secret Square).
Et là, première série de baffes.
Putain (je dis putain pour dissimuler la féminité omniprésente qui me caractérise derrière un rempart de virilité verbale. C’est très tendance, vérifiez), c’est magnifiquement écrit ! Fouchtre dieu (je dis fouchtre dieu pour vous montrer que je sais manipuler des expressions en vieux françois qui existent à peine), mais quelle écriture ! Quel phrasé, quel rythme, quelle sonorité et quel vocabulaire ! Voilà Flaubert enfoncé, Zola, explosé et Audiard, éparpillé. C’est magnifique ! Et ça prouve que 1/ le français est une langue qui vaut vraiment quelque chose 2/ il reste encore des gens qui savent écrire en français. Deux constatations que je n’avais pas eu le loisir de faire depuis quelques dizaines d’années.
Et puis, ces personnages… Adieu la magicienne pucelle, le voleur furtif aux deux épées et le paladin imbécile. Non, là se dessinent devant vous, tellement clairement que vous pouvez vous les imaginer, 23 personnalités complexes. Des incarnations de chacune des facette de votre personnalité, de véritables arcanes qui n’attendent que le lecteur pour s’exprimer à travers lui. Chacun des 23 personnages possède un signe identitaire, parle en son nom avec un style qui lui est propre, jusqu’à ce que, magie du livre qu’aucun média ne remplacera, vous les entendiez vraiment, vous leur donniez une voix.
Nom d’une pipe (je dis ça pour vous prouver que je suis un fan de Blake et Mortimer), je ne vous parle même pas de cet univers travaillé, sculpté par le vent dans lequel évoluent cette horde. Crédible, complexe, infini. J’imagine que quelques rôlistes ont du déjà s’amuser à l’explorer.
Et que ceux qui n’aiment pas se poser de questions retournent lire du Florian Zeller (dont La fascination du pire est effectivement le pire livre de ma bibliothèque qui en compte plus d’un millier.). Dans la horde du contrevent, vous allez réfléchir à la structure de l’univers, penser à votre vie, à la définition même de vivre. Ce livre, cette parenthèse de vie partagé avec ces 23 protagonistes, va vous faire mal, car il va vous faire cogiter. Et vous ne lâcherez le livre avant la fin que par paresse ou par lâcheté.
Petit abrégé de marketing littéraire
Le marketing littéraire ressemble beaucoup au marketing Internet en cela qu’il peut-être soit purement media par de l’achat de support de publicité ou RP (passage télé de Zeller qui parle nettement mieux qu’il n’écrit – c’est dire – ou encore 4/3 de Marc Levy dans le métro, etc.) soit du bouche à oreille (la propagation de la notoriété du livre par des voies naturelles).
Certains éditeurs – qui vendent de la merde – préfèrent passer uniquement par de la publicité en sachant que le bouche à oreille ne se fera pas naturellement. D’autres éditeurs, misent sur une propagation naturelle accompagnée par un peu de média. Et d’autres éditeurs, enfin, n’ont pas les moyens de faire autrement que de laisser leur ouvrage vivre sa vie chez les libraires compétents.
- J’ai fait l’erreur d’avoir acheté le Zeller après l’avoir vu un matin sur LCI, et l’après-midi en tête de gondole au Virgin Megastore (c’était la première fois de ma vie que j’achetais un bouquin en TDG) ce qui m’a appris deux choses : 1/ les auteurs qui parlent bien à la télé n’écrivent pas forcément bien 2/ le Virgin n’est pas une librairie mais un dépôt de livre à acheter. Arrêtons donc de parler de “sélection du libraire” dans ces supermarchés qui traquent le profit, pas la culture.
- J’ai acheté le Damasio parce qu’on me l’avait conseillé. Et j’ai passé un moment plus qu’excellent. Je pense que je ferai de plus en plus confiance à mes amis pour acheter mes bouquins.
Deux visions du marketing littéraire, deux résultats. Crise du livre ? Il serait peut-être temps de se demander pourquoi (pour en savoir plus, lisez Comment représenter la mutation de la chaine du livre ? plein de bonnes idées dans ce livre blanc).
Alors je ne sais pas si Damasio écrira jamais un livre aussi bon, mais je sais que dans celui là il y a mis ses tripes, ses neurones et ce qu’il y a derrière. Mon seul conseil sera donc de le lire.
PS: Jan Kounen a en projet de faire un film d’animation de ce livre (Windwalkers. Chronicle of the 34th Horde) qui devrait sortir en 2013. Une adaptation qui risque de constituer un véritable défi artistique. Je souhaite bonne chance à Jan.
PS2 : une belle interview de Damasio à la Gaité Lyrique : De la science-fiction aux jeux vidéo