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Festival du Film Coréen à Paris 2012, 5ème jour : indignation, horreur, sagesse et moquerie.
Par Tred @limpossibleblogCinquième jour du FFCP 2012. On est samedi, la moitié du festival est passée, et finalement il reste encore tant à voir que la journée sera longue, et reflétera bien toute la diversité que se propose d’offrir le festival. Comme la veille, je prévois en bout de programme, à 22h, un film léger, pour parer toute épreuve potentielle au cours de ce défilé de films. L’ouverture se fit avec le documentaire « Two lines », film autobiographique d’une réalisatrice vivant dans le péché avec son compagnon et apprenant qu’elle est enceinte.
Au sein de la société coréenne encore marquée par un traditionalisme difficilement altérable, faire un enfant hors mariage n’est pas du plus bel effet au regard de cette entité pleine de jugement qu’est la foule. Les autres. Ces yeux qui peuvent aussi bien être proches que lointains, prompts à juger ce qui ne rentre pas dans la norme. Le documentaire suit le parcours de ce couple tiraillé entre leur vision indépendante et insouciante des rapports humains et cette pression extérieure qui s’appuie constamment sur eux. C’est à la fois un regard sur la vie de couple en Corée et l’appréhension de vivre hors des institutions dans une société qui fait tout pour qu’hommes et femmes rentrent dans le rang. Culturellement c’est assez fascinant de voir tous les problèmes de conscience que cela peut engendrer, et humainement, le couple est suffisamment attachant pour que le documentaire prenne vie.
Dans la salle, il y en a une par contre qui a eu bien du mal à supporter le problème de sous-titrage rencontré au cours de la projection. Bien sûr, cela a été gênant pour tous les spectateurs non coréens, car près de la moitié des sous-titres sont passés à la trappe. Mais le comportement de cette spectatrice fut particulièrement dérangeant. Que lui est-il passé par la tête précisément, qu’a-t-elle compris des problèmes de sous-titrage, difficile à dire. Il faut croire qu’elle pensait que la jeune femme qui gérait le sous-titrage dans la salle ne se rendait pas compte des problèmes, et que si elle pianotait frénétiquement sur son clavier, c’était pour jouer à « World of Warcraft » et non pour constamment essayer de faire que les sous-titrages s’affichent au mieux. Assise sur le même rang que moi, je l’entendais (la spectatrice hors d’elle) se remuer sur son fauteuil, pousser des soupirs exaspérés, crier régulièrement « Sous-titres !!! », comme si l’on n’attendait qu’elle et ses remarques pour résoudre les soucis. Pire que tout, elle se contentait parfois de claquer des doigts ou d’émettre ce son caractéristique que l’on produit avec la bouche lorsque l’on appelle un chien. Charmant.
Cette même spectatrice, je la retrouvai à la séance suivante, assise le rang devant moi, pour la seconde fournée de courts métrages du réalisateur invité, Kim Kyung Mook, « Sexless » et « Faceless Things ». J’avais le sourire aux lèvres à la voir et à imaginer à quel moment elle commencerait à réagir, et surtout de quelle manière, lorsque les images deviendraient hardcore. Elle ne resta finalement pas jusqu’au clou du spectacle, quittant la salle après le premier court, un plan fixe de 22 minutes, muet et sans musique, filmant le visage (et uniquement le visage) d’un homme en train de se masturber, pendant qu’en split screen se dévoilent sur une moitié de l’écran des images à peine distinguables de ce qui pourrait lui traverser l’esprit. 22 minutes d’un tel plan fixe, malgré le split screen qui montre d’autres choses à l’écran, c’est long. Et mieux vaut ne pas s’aviser d’être pris d’une envie de rire dans une salle où chaque mouvement de tissu et reniflement de nez se fait entendre où que l’on soit assis. Jusqu’à être pressé de voir le second court-métrage - en fait long, affichant plus de 60 minutes au compteur - et réputé particulièrement dur à supporter pour les âmes sensibles, d’où une interdiction aux moins de 18 ans.
Je ne m’étendrai pas en détails sur ce court-métrage, et particulièrement sa seconde partie, par peur de voir tout un tas de pervers débouler sur le blog qui se seraient vus orientés ici par Google après avoir tapé quelques mots clés peu ragoutants et qui pourrait vous faire faire des cauchemars. Imaginer ce que s’est imposé le cinéaste, Kim Kyung Mook, en réalisant ce film aux confins de la scatologie, laisse perplexe, à l’image du film qui m’a plongé entre dégoût, hallucination et poilade. Mais vous en saurez plus sur Kim Kyung Mook et ses films dans le prochain billet. L’heure est plutôt à saluer un beau documentaire qui nous a été présenté par sa réalisatrice Jeong Jae Eun samedi soir, « Talking Architect », ou le portrait de l’architecte coréen Chung Guyon, filmé pendant plus d’un an par la réalisatrice de « Take care of my cat », avant qu’il ne décède des suites d’un maladie qui l’a affaibli à petit feu.
« Talking Architect » nous a été présenté comme le coup de cœur de l’équipe du Festival du Film Coréen, et je ne peux qu’approuver. C’est un moment d’émotion sincère qui a traversé la salle à la vision du documentaire, c’est le portrait d’un homme fascinant, professeur charismatique, réfléchi, posé, qui semble être l’incarnation même de la sagesse. Un maître Yoda coréen dont on boirait chaque parole avec délectation. L’homme avait fait des études en France dans sa jeunesse, et son fils, français, accompagnait la réalisatrice pour nous parler de son père avec des mots qui sonnaient justes. Le FFCP a l’art chaque année de débusquer de beaux documentaires, et « Talking architect » est sans conteste le bijou de l’édition 2012.
Pour conclure la journée, à 22h sonnées, je m’étais donc gardé un film léger et dont on m’avait dit du bien depuis qu’il avait été projeté une première fois deux jours plus tôt : « Romance Joe ». Derrière la caméra, un cinéaste qui signe là son premier long-métrage, Lee Kwang-kuk, qui a appris le métier en faisant l’assistant chez Hong Sang Soo. Et il ne faut pas attendre très longtemps pour reconnaître dans la structure narrative de « Romance Joe », la mise en abyme, l’influence du réalisateur de « Ha Ha Ha ». Lee Kwang-Kuk semble même tellement en abuser, de cette mise en abyme, dans la première partie du film, que cela fait presque peur. Il ouvre un nombre incalculable de récits dans le récit, constamment. C’est un personnage qui raconte une histoire dans laquelle un personnage raconte une histoire dans laquelle… une sensation d’infini se dessine, et l’on en vient à se demander si ce jeu de poupées russes s’arrêtera à un moment.
Et il s’arrête, ouf, du moins se calme-t-il, et lorsque le récit trouve enfin une certaine stabilité, quelque chose prend joliment forme. Comme chez Hong Sang Soo, c’est une histoire de réalisateur qui manque d’inspiration et se retrouve en province à réfléchir à un nouveau film, mais il rencontre une fille qui lui raconte sa rencontre avec un autre réalisateur, pendant que d’autres niveaux de récit se développent en parallèle. Tout cet enchevêtrement permet au récit de trouver une amplitude, de donner de l’aisance aux personnages, brodés avec soin et finesse, parsemés ici et là de pointes d’humour. Malgré cela ce n’est pas l’humour du film qui aura déclenché les rires les plus gras de la projection. Car lorsqu’une jeune fille à l’écran émit un cri strident, mes oreilles sensibles en prirent un coup qui me fit bougonner. Mes deux voisins, que je prenais jusqu’ici pour des amis, sont partis dans un fou rire monstrueux dans sa longueur, ne retrouvant leur souffle et séchant leurs larmes qu’au bout de dix minutes.
Devant le cinéma, une fois sortis, je semblais avoir été le seul à ne pas avoir piqué un peu du nez pendant « Romance Joe », tous les autres spectateurs me répétant les uns après les autres qu’ils avaient lutté contre le sommeil. M’enfin ! Devant un bon film pareil ! Allez, il était tard, on avait tous enchaîné plusieurs films… on passe l’éponge. Mais pour les fous rires moqueurs, par contre…