© Sébastien Coulombel, 2012
Godspeed You! Black Emperor et moi c’est une longue histoire. Lift your skinny fists like antennas to heaven, l’album aux mille extases offert par ma bien-aimée, synthétisait tout ce qui me faisait vibrer : ambiances pesantes, sombres, électriques, et lent crescendo de cordes, samples et percussions jusqu’à l’explosion (in the sky) avant la redescente. Noise, velléités symphoniques et explorations sonores, bande originale idéale de mes états mentaux, F#a#∞, Slow Riot for New Zerø Kanada (EP), puis Yanqui U.X.O. (à la production trop stevalbinesque à mon goût) m’ont accompagné pendant des années, Slow Riot et Lift your skinny fists surtout, mes immortels aux pochettes cartonnées, le haut du haut du panier de ma discothèque amplifiée avec le monstrueux Soundtracks for the Blind des Swans de Michael Gira. Le concert au Grand Mix à Tourcoing en 2003 fut un grand moment de folie douce, quintessence – à la limite du cliché – de leur art du post-rock (un genre né du croisement du rock progressif, du rock psychédélique et du post-punk / noise / no wave de Sonic Youth et des Swans), qui m’emmena au septième ciel jusqu’au malaise (mon amie C. subit pareille mésaventure lors d’un récent concert de Dominique A au Lieu Unique). Mes seuls regrets, alors, étaient : 1) d’avoir dû rester debout (Godspeed s’écoute allongé) et 2) de n’avoir pas encore découvert les bouchons en silicone (j’alternais alors écoute libre et usage des trop efficaces boules Quies). Mais Jésus m'annonça la bonne nouvelle : le 1er novembre, GY!BE se produirait dans la proche banlieue bordelaise.
Le concert du Rocher de Palmer à Cenon semble avoir déçu pas mal de monde, à commencer par la joyeuse troupe qui m'accompagnait : finies, ou presque, les grandes envolées d'antan. Plus que jamais les Godspeed You! Black Emperor écoutent de l’ambient et autres bourdonnements machiniques et soignent leurs textures plutôt que leurs partitions. Moldex Rockets dans les conduits auditifs, j’étais paré.
Fascinant spectacle que ces nappes soniques d'énergie contenue et leurs images d'un monde révolu – annoncé par un « hope » ironique quand montent les drones asphyxiants en ouverture :
Même les pièces les plus anciennes sont moins abrasives et jouissives qu'élégiaques et cérémoniales – je dois néanmoins confesser des hochements de tête quasi psychiatriques –, mais le malentendu persiste : aux oreilles d'aucuns GY!BE devrait encore et toujours expédier son public au nirvana par vagues successives alors qu'Efrim et sa bande n'ont qu'enfer et purgatoire à l’esprit, comme nous l'a rappelé le froid – mais non moins splendide – dernier album, Allelujah! Dont' bend! Ascend!
Après l’épique Mladic (longtemps connu sous le titre Albanian) vient l’heure du grand classique Moya, interprété à la perfection mais que je ne reconnais jamais (pendant la performance, j’étais convaincu, comme en 2003 déjà, d’écouter une pièce de Yanqui UXO).
Et puis soudain, Godspeed se métamorphose en Earth et déroule un long doom à la sereine et martiale beauté qui finit par virer au drone avant d’agoniser en un post-rock à se pendre illico aux structures de la salle.
La transe démoniaque aura duré une bonne demi-heure, à vue de nez. Peut-être plus. Nous voici vidés, prêts à recevoir comme une offrande l’autre classique de Slow Riot (que j’ai confondu cette fois avec un titre de Levez vos pognes étiques comme des antennes vers les nuées : probablement un dysfonctionnement cérébral). De quoi nous mettre un peu de baume au cœur avant de regagner la réalité – qui chez moi a pour nom : bar.
Une bière plus loin, l’ami Sébastien C., photographe à capuche, s’est jeté sous les roues d’une twingo. Je suppose que le conducteur, livide, est mort d'arrêt cardiaque quelques ronds-points plus loin, mais l'ami s'en est sorti indemne. « Même pas peur » a-t-il lâché une heure plus tard, Rince Cochon à la main. Le miracle Godspeed a encore eu lieu.