Le week-end passé, d’un pas nous avons traversé le Golfe de Botnie, ce cher bras de mer séparant la Finlande de la Suède. Nous voilà donc à Stockholm, sous un soleil clinquant, avec en ligne de mire, les Grizzly Bear. A défaut d’aller se prélasser au Pitchfork parisien tapageur, radiant littéralement l’atmosphère médiatique, il fut sain et malin de prendre un temps d’avance. Le lieu du délicieux délit d’avant-garde fut le Berns, une sorte d’institution mêlant restaurant, club, salle de concert… Une classe à la scandinave, un outrage pour les yeux avec ce luxe cristallin se répandant sous nos yeux. Lieu incroyable, immanquable, qui servira d’écrin et siéra à la classe bien connue des américains de Grizzly Bear.
En première partie, ce sont les irlandais Villagers dont Conor J. O’Brien est à la tête. Certes un peu honteusement, nous arrivons alors que le concert est déjà commencé. C’est cependant avec plaisir que nous entrons dans le flux de notes et de douceur que la bande fait déferler dans nos oreilles. Sur un ton sombre et prenant, leur morceau installeront le flottement nécessaire pour que l’âme se détache du corps et puisse se laisser au mieux porter par la musique. Leur dernier album, Becoming a Jackal (Domino Records), date de 2010 et, pour ainsi dire, nous ne savons pas très bien ce qu’il advient de leurs projets désormais.
Poursuivons la soirée, comme prédit, avec les Grizzly Bear de chez Warp. Le fond de scène est décoré de lanternes encore éteintes, le lieu est décidément apprêté au mieux, ravissant! Après s’être fait sacrément attendre, les coquins recouvrent enfin la scène : Chris Taylor, Daniel Rossen, Edward Droste et Christophe Bear. Aaron Artz les accompagne également, jouant savamment de son piano droit à l’occasion de la tournée. La batterie colle le rythme. Daniel Rossen empli la salle de sa voix claire. C’est donc Speak In Rounds qui déclenche la première envolée vers le refrain. Refrain reflétant le mariage des voix de Daniel Rossen & Edward Droste. Le doux contraste vocal et rythmique de ce morceau serait presque parfait pour un début de concert.
Rapidement, le groupe prend vit, les lanternes aussi. Avec confiance et enthousiasme, ils joueront tout leur dernier album, Shields (2012), excepté The Hunt, et saupoudreront par la même une agréable électricité dans l’air de leur rock folk. « La dernière fois, en 2009, lors de leur passage à la Route du Rock de St Malo, elle s’était un peu ennuyé ‘sur les bords’, comme on dit. C’était un peu honteux de le révéler car Grizzly Bear est LA référence musical, le groupe qu’il est rare, indigne et dérageant de détester ‘dans le milieu’ (décidément, cela fait beaucoup de guillemets). Mais le lieu du festival avait tout dispersé, la bouffée de sentiment se répandait en des milliers de particules qu’il devenait impossible d’attraper. Et à 1000 rangs derrière le devant de scène, c’était un évident gâchis. » Alors ce soir, au Berns, à quelques mètres du groupe, dans une salle chaleureuse, la bouffée fut instantanée et piqua au cœur.
Le rythme prenant, la mollesse qui menace souvent n’apparut point, et des morceaux comme Shift ( Friend, 2007), ou Foreground (Veckatimest,2009), furent le fruit d’ascensions vers des sommets de frissons. Des sensations fortes capables de faire renaître n’importe quel défunt. Des instruments, guitares, pianos, clarinettes, trompettes, donnant une furieuse et touffue harmonie sonore. Et de ce foisonnement sentimental, la joie finissait toujours par gagner : l’excitant Shields en tête avec son gun-shy malicieusement dissonant, ou la célèbre Two Weeks. En guise de final, ils auront préparé la longue progression mélancolique de Sun In Your Eyes. Mais non. Eh bien non, tout simplement, « come on, hop hop boys, revenez donc nous jouer de jolies choses sous ces lustres royaux ! ».
Les voilà donc de retour sur la scène, revenus parce que le public était de cette idée, joyeux et motivé. De sa voix susurrante, Chris Taylor entame alors Knife, entêtant morceau à l’agréable étrangeté : « Can’t you feel the knife ? ». Yes, we feel, tout au long nous ressentons, comme jamais. Puis, On a Neck, On a Spit, au progressif chamanisme. La fin, la vrai, The End, aura l’honneur d’être apposée par un presque acoustique de All We Ask. Chris Taylor & Daniel Rossen, bien sagement derrière un micro commun ; Edward Doste, agrémentant le morceau de sa voix et guitare ; le public, claquant des mains avec plaisir. Et ce fut cette sorte de délicieux moment, moment où ton corps se dissout dans la musique. Tu n’es plus seulement debout, dans la salle, mais partout à la fois, et ça pique tellement c’est bon !