Sylvie Assé
Beaubourg. Un homme dort sous des cartons, roulé dans une couverture. « Bonjour, m'entendez-vous ? Est-ce que vous aimeriez une petite soupe ou un café ». L'homme remue, sort la tête de son abris de fortune : c'est Charlie Chaplin ! Les maraudeurs ne peuvent retenir un éclat de rire. Charlot semble soudain se souvenir qu'il est maquillé et sourit. Il parle anglais. Il dit qu'il s'est grimé pour faire la manche. Jusque là tout va bien... Quand il ajoute qu'il faut faire des efforts parce que les loyers sont chers à Paris, on comprend que quelque chose ne va pas... Croit-il vraiment qu'il pourrait trouver un logement grâce à ses efforts dérisoires ? Tente-t-il de s'abuser lui-même ?
Voici quelques documents trouvés sur la toile pour donner quelques élements de réponse à cette
question...
Un rapport sur la santé mentale des sans-domicile, rendu public il y a un an, révèle l’importance des troubles psychiatriques sévères chez les personnes obligées de dormir dehors.
Un tiers (31 % pour être précis) des sans-domicile fixe en Île-de-France sont atteints d’un trouble psychiatrique sévère (troubles psychotiques, troubles de l’humeur et troubles anxieux). Voilà ce qui ressort d’une enquête dite Samenta menée conjointement par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et l’Observatoire du Samu social d’Île-de-France en 2009, dont les résultats ont été rendus publics hier.
« C’est donc que les deux autres tiers ne le sont pas », a tenu à préciser Pierre Chauvin, directeur de recherches en épidémiologie à l’Inserm, qui ne veut pas renforcer l’image souvent répandue selon laquelle toutes les personnes vivant à la rue « seraient des fous ».
Un échantillon de 840 sans-domicile
Les chercheurs, qui ont travaillé sur un échantillon de 840 sans-domicile de plus de dix-huit ans, francophones, ont souligné l’importance de porter à la connaissance du public des données précises, afin de mieux répondre aux problématiques posées par la prévalence de ces troubles 8 à 10 fois plus élevée qu’au sein de la population bénéficiant d’un logement. Leur étude a permis ainsi de mettre en lumière que les troubles psychotiques sont plus présents au sein des populations les plus précarisées (rencontrées majoritairement dans les hébergements d’urgence ou dans les lignes de distribution alimentaire) et que les troubles anxieux sont, eux, plus fréquents chez les personnes vivant en hôtel dit social – la plupart du temps des familles.
Prévenir la perte de logement
Leurs travaux ont permis d’établir une autre précision importante en montrant que les sans-domicile atteints de troubles psychiatriques sévères ont connu plus d’« accidents de la vie » pendant leur enfance que la population générale, mais que ce n’est pas le cas des sans-domicile ne présentant aucun trouble. Ainsi 12 % des premiers ont subi des abus sexuels dans leur enfance contre 2 % de la population générale, 12 % ont été placés en foyer (2 % dans la population générale), 20,2 ont fugué (3,5 % de la population générale) et 34 % avaient assisté à de graves disputes de leurs parents (16,2 % de la population générale).
Pour résumer, « la surreprésentation de l’enfance difficile n’existe que chez les personnes à la rue malades », explique Pierre Chauvin. Pour Marie-Jeanne Guedj, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, le fort taux de prévalence des troubles psychiatriques sévères, dont la schizophrénie, « multipliée par dix chez les sans-domicile », est due « à une précarisation qui succède au déclenchement de la maladie », soit par la difficulté à accomplir « les tâches nécessaires comme répondre aux impayés », soit par « le rejet du voisinage ». Pour elle, les troubles anxieux sont plutôt des conséquences de la vie des sans-domicile, exposés « aux insomnies, troubles de l’alimentation, et à l’absence de vision de l’avenir ».
Les chercheurs insistent donc sur la nécessité de prévenir la perte de logement des personnes ayant des troubles psychiatriques comme la schizophrénie et insistent sur l’importance de former les travailleurs sociaux pour qu’ils soient en mesure de repérer les problèmes de santé mentale des sans-domicile.
Le Parisien
L’amalgame entre folie, toxicomanies et sans-abrisme est largement pratiqué, y compris par les travailleurs sociaux. Non, le SDF n’est pas obligatoirement sujet à l’addiction, ni aux troubles mentaux.
La santé mentale des personnes sans abri fait l’objet de nombreux préjugés, et l’image du SDF alcoolique,
malade et fou reste très répandue… Or, tous les travaux internationaux s’intéressant au rapport entre sans-abrisme et santé mentale refusent l’assimilation entre
folie et exclusion… même si une surreprésentation des troubles psychiatriques sévères est observée dans cette population.
Pour la première fois en France, une enquête – intitulée Santé mentale et addictions chez les personnes sans logement personnel d’Ile-de-France (Samenta)
– apporte un éclairage affiné sur la question. S’appuyant sur une grande diversité de situations et de conditions de vie de personnes à la rue, l’Observatoire du Samu social de Paris et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) livrent ainsi leurs
constats. La part des personnes atteintes d’un trouble psychiatrique sévère représente 31 % des 840 personnes rencontrées (psychotique pour 13 %, de l’humeur pour 7 % ou anxieux
pour 12 %). Autre constat : un petit tiers d’entre elles sont consommatrices, régulières ou dépendantes, de substances psychoactives. En effet, « seulement » 28,5 % des
personnes sans abri souffraient d’une addiction (soit trois à cinq fois plus que dans la population totale). Mais vulnérabilité et rejet social sont alimentés, chez les riverains, par cet usage
de drogues, rendant « urgent d’envisager de nouvelles modalités d’hébergement ».
Enfin, les troubles psychotiques – en majorité schizophréniques – représentent la pathologie la plus grave
et la plus fréquente pour ce public, comparée à la population générale, soit une prévalence de huit à dix fois supérieure. Et la majorité des personnes ayant bénéficié de soins psychiatriques
n’est plus suivie…
Samenta a également permis d’estimer la population adulte francophone sans logement personnel fréquentant
les services d’aide en Ile-de-France à 21 176 personnes, tout en confirmant l’hétérogénéité de ce public, tant du point de vue des trajectoires de vie que des catégories sociales. Autre
nuance importante, les ruptures familiales et maltraitances diverses seraient davantage à mettre en lien avec les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères – y compris celles qui
vivent dans les zones urbaines sensibles – qu’avec les SDF en général.
Un focus a été fait sur les familles, les femmes et les jeunes, nombreux parmi la population étudiée :
il est ainsi noté que 16,6 % des 18-25 ans sans logement personnel « présentent un risque suicidaire élevé ou moyen ».
Ce programme de recherche est d’autant plus original qu’il s’attache à « estimer les effets des
insertions ou des ruptures sociales, du contexte familial, et des environnements géographiques de vie, sans faire pour autant l’impasse sur les conditions de vie ». Il conjugue au contraire
les différentes approches dans la recherche des mécanismes produisant les inégalités sociales ou de santé. L’enquête Samenta se veut enfin base de comparaison avec des études similaires réalisées
à l’étranger. Actuellement, deux autres chantiers sont en cours : l’un concerne l’hygiène « de la tête aux pieds » et pendant deux mois, dix camping-cars sillonneront Paris, les
bois de Boulogne et de Vincennes, et visiteront les centres d’hébergement. Le second étudiera pendant trois ans le nombre grandissant de familles vivant à la rue, « car désormais au niveau
du 115, le nombre de personnes sans domicile en famille a dépassé celui des personnes isolées. C’est un phénomène peu visible, que les chercheurs anglo-saxons ont déjà analysé depuis
longtemps »…
Joël Plantet, Le lien Social
Schizophrénie, dépression, addiction : regards croisés de SDF et d'infirmières en psychiatrie sur ce que la rue fait au mental. Un document d'Aurélie Champagne en téléchargement .pdf
PRATIQUES CLINIQUES ET VIOLENCES DE LA PRECARITE
Dr Jean-PierreMartin
Chef de Service
Pôle Précarité
Le projet clinique du pôle précarité psychiatrie est la rencontre avec des précaires comme sujets citoyens, donc
référés aux lois démocratiques, à l’opposé de l’homme dangereux qui limité la clinique à des approches sécuritaires.
La psychiatrie a une vieille histoire avec le vagabondage et la misère sociale. Au 19ème siècle les concepts de
folie morale puis de dégénérescence sont inscrits dans les effets de la pauvreté ouvrière que sont la promiscuité le taudis et le chômage. Quant au vagabondage il suffit de rappeler le film de
Tavernier Le juge et l’assassin qui décrit le lien dans les préjugés populaires entre le vagabond épileptique et la folie, mais aussi le lien avec la criminalité.
L’abolition du délit de vagabondage dans le code pénal en 1992 n’est pas vraiment passée dans les pratiques
municipales qui ont multiplié depuis les arrêtés municipaux d’interdiction de territoire aux SDF. Si les juges ont cassé ces arrêtés au nom du droit constitutionnel de liberté de circulation dans
l’espace public, les mesures contraignantes vis à vis des sdf, associés au désordre public, a connu de nouveaux développements après l’extension des mouvements de tentes de Médecins du Monde puis
des Enfants de Don Quichotte. Il est d’ailleurs révélateur dans cette tendance discriminatoire que les roms soient tout aussi stigmatisés.
Assiste-t-on à une tentative de retour de la psychiatrisation de l’errance dans une nouvelle politique de
gestion de l’espace public ? La pratique des équipes du Pôle Précarité Psychiatrie, face à cette tendance de faire appel à la psychiatrie pour régler ces désordres sociaux (avec à Paris le
constat de la prévalence des hospitalisations en HO pour les sdf), oppose des pratiques éthiques de connaissance de l’homme précarisé, démarche que nous cherchons à partager avec les autres
intervenants sociaux. Dans l’approche des sujets précarisés la première violence à prendre en compte est la violence qu’ils subissent dans la situation sociale extrême qu’ils vivent. C’est en
allant vers ces sujets dans la rue dans les accueils de jours et les hébergements d’urgence que nous retrouvons cette nécessité du temps à prendre, de la continuité des passages, de la bonne
distance à instaurer, de l’analyse des situations institutionnelles, de la reconnaissance de la violence faite à l’humain. Il repose sur un travai l de négociation avec le précaire et les tiers
intervenants.
Les mots dangerosité et trouble du comportement sont en effet de l’ordre du social dont nous devons dégager ce
qui fait symptôme clinique dans la subjectivité du sujet.
Dans les liens avec les partenaires, notre expérience des thérapies institutionnelles nous permet de montrer
l’importance des pratiques institutionnelles dans le passage à l’acte, soit que le délirant se sent menacé par notre attitude, soit que notre attitude répressive entraîne une escalade. C’est le
cadre qui permet de distinguer ce qui relève d’une défense psychique face à l’extrême d’une pathologie structurelle (expérience également des centres d’accueil et de crise ainsi que des services
d’urgence hospitaliers).
En l’état actuel du climat sécuritaire qui traverse nos pays européens ce travail clinique passe par notre
engagement auprès de ces sujets et par une négociation constante avec l’intervention policière afin que la démarche d’accès aux soins ne soit pas d’emblée la contrainte, celle-ci n’intervenant
qu’en cas de refus de soins prolongé (pratique reconnue par de nombreux policiers eux-mêmes).
La situation qui va être présentée rend compte de cette démarche de sortie de la logique sécuritaire par un
travail clinique sur la situation qui fait violence.