Après avoir défini la notion d'égalité, puis discerné sa signification dans les affaires humaines, nous allons explorer dans ce nouveau billet différentes formes de discriminations et dévoiler la complexité de leur appréhension.
Par Stanislas Kowalski.
Discriminations ? Pas toujours...
De toutes les distinctions qu’on estime généralement discriminatoires, il n’en est pas une seule qui ne puisse, dans un domaine ou un autre avoir une certaine pertinence. Et à chaque domaine d’activité, il faudra se poser la question. Il faudra définir les critères qui permettent de distinguer les gens et de faire des choix, et ceux qui sont au contraire sans intérêts. On voit bien la difficulté. Les définitions de l’égalité risquent d’être à la fois en nombre infini et de taille infinie. Il y a deux manières d’aborder la question. Soit on définit l’égalité par ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire qu’on définit les discriminations. Soit on tente de définir le critère de comparaison et on pose comme principe que ce critère exclut tous les autres. La première approche présente un inconvénient majeur, c’est que la liste est sans limites. Je pourrais toujours inventer des discriminations à dénoncer. Après la race, le sexe, les orientations sexuelles, puis pourquoi pas le port de la moustache, la beauté ou le QI. En complexifiant le problème par une définition forcément incomplète, les militants de telle ou telle cause en viennent à oublier que la discrimination n’existe que par rapport à certaines activités et pas à d’autres.
Discriminations de naissance ?
Pas de discriminations de naissance, dit-on. Historiquement, ce sont elles qui étaient visées par les premières grandes déclarations, quand il s’agissait avant tout de lutter contre les privilèges de la noblesse. Mais il y a des droits liés à la nationalité. Ce sont surtout des droits politiques.
L’égalité politique consiste à accorder le même poids au vote de chaque citoyen, étant bien entendu que tout le monde n’est pas citoyen. Il faut pour cela, en général être né sur un territoire donné ou de parents eux-mêmes citoyens, avoir atteint sa majorité légale etc. On retiendra surtout que pour l’immense majorité des gens, la nationalité leur a été attribuée par leur naissance. Chaque pays a son code de la nationalité et aucun n’accorderait sans distinction les droits politiques à tous les hommes. La plus élémentaire prudence invite à n’accorder le droit de cité à un étranger qu’avec certaines précautions et après une période probatoire. La moindre des choses étant que le nouvel électeur accepte au moins les principes politiques sur lesquels est basé ce droit de cité. Quant à celui qui est né chez nous, son appartenance à la nation n’est pas un choix de sa part. Elle s’impose à lui. Il est de fait que, même si l’on peut parfois changer de nationalité, on n’est pas libre de ne pas en avoir. À l’échelle mondiale, il existe bel et bien des privilèges de naissance. Et je dois préciser que les Français ne se situent pas du mauvais côté de l’échelle.
Il y a d’autres motifs d’incapacité à voter. Il est évident qu’on ne va pas faire voter quelqu’un dont le consentement est douteux. Ça n’aurait guère de sens de faire voter un enfant en bas âge ou un trisomique incapable de comprendre la question posée. On peut se demander par ailleurs si une condamnation pénale doit suspendre ou non le droit de vote. En la matière, il convient à tout le moins de s’assurer que l’élection reste possible et honnête. L’égalité ici consistera à exclure tous les critères non pertinents pour garantir ces objectifs.
Discriminations sexistes ?
On milite beaucoup aujourd’hui pour l’égalité des sexes, avec une virulence parfois effrayante. Le moins qu’on puisse dire aujourd’hui, c’est que le combat féministe part un peu dans tous les sens. Il s’attaque à la politique, à la famille, au travail, à l’éducation ou la justice pénale. Il n’y a guère de domaine d’activité où l’on nous épargne les accusations de phallocratie et de machisme. Qui plus est, on ne se contente pas de dénoncer des inégalités en droit mais on prétend corriger des inégalités de fait.
Au demeurant, en France, du point de vue du rapport homme-femme, il ne reste plus beaucoup d’inégalités en droit, et elles ne sont pas toujours dans le sens que l’on croit. On a beaucoup glosé sur la répartition sexuée des tâches. L’ethnographie nous a enseigné deux choses : il y a toujours une répartition sexuée des tâches, mais aucune tâche ne peut être attribuée tout le temps et partout à un seul sexe. On oublie simplement, dans cette analyse, la tâche la plus importante pour l’avenir d’une société, celle de mettre au monde les enfants. On l’oublie, parce qu’elle est trop évidente. Tous les bébés naissent d’un ventre de femme. Les hommes ne peuvent pas être enceints. Il y a bien une question chez les médecins à propos de la possibilité de l’allaitement masculin, mais c’est négligeable. Le fait est, qu’il existe une asymétrie fondamentale dans le domaine de la procréation, que toutes les réformes du droit de la famille n’ont pas pu éliminer. Elles ont décalé certains droits, notamment l’autorité parentale, mais elles n’ont pas créé d’égalité, pour la simple et bonne raison que, dans ce domaine du moins, ça n’aurait pas de sens.
Aujourd’hui, on constate que, juridiquement, la mère est dans une situation beaucoup plus confortable que le père et dispose de beaucoup plus de liberté. Je passe sur la question des divorces et le fait que les femmes y sont très largement favorisées, tant pour les pensions que pour la garde des enfants. Regardons simplement le choix de devenir parent. Une femme peut aisément refuser d’être mère, soit en accouchant sous X, soit en avortant. On ne peut en aucun cas lui imposer de le devenir, du moins juridiquement. Un homme, au contraire, est par défaut le père des enfants de son épouse, même s’il n’a en rien contribué à leur procréation. Et s’il n’a pas voulu se marier, on peut faire une recherche en paternité, pour le forcer à subvenir aux besoins de ceux dont il est le géniteur. Que cette situation soit justifiée ou non, il faut bien reconnaître que nous ne sommes pas égaux en matière de procréation. Marcela Iacub a bien proposé de créer un "engendrement sous X" pour équilibrer, mais on ne voit pas concrètement en quoi cela consisterait. Et de toute façon, ça ne réglerait pas tout.
Restent les inégalités de fait entre les hommes et les femmes, notamment pour l’accès à certains emplois et pour les salaires. À travail égal, salaire égal. Le principe est bien joli. Mais il est très difficile en pratique de définir une échelle des salaires, car on doit prendre en compte non seulement le temps passé, mais aussi l’efficacité, la disponibilité des compétences sur le marché, ou encore ce que coûterait à l’entreprise l’absence de ce travail. Un ouvrier peut être payé à la pièce ou à l’heure. Payer un gardien de nuit à la performance n’aurait pas de sens. Il est extrêmement difficile de faire des comparaisons.
On nous dit qu’à travail égal, avec le même niveau de qualification, et la même ancienneté, les femmes restent moins bien payées que les hommes. Il y a une sorte de résistance. C’est un fait biologique que les femmes doivent faire des choix entre la famille et la carrière, car la maternité est plus contraignante que la paternité. Une femme, pour peu qu’elle fasse le choix d’être mère, doit consacrer une part importante de sa vie à ses enfants, ne serait-ce qu’autour de l’accouchement, plusieurs semaines avant et après. Ce à quoi le père n’est pas obligé. Sa contribution à la procréation peut se résumer à une éjaculation dans une nuit d’ivresse. C’est peut-être triste, mais c’est comme ça.
Pour l’entreprise, ce qui compte en fait, ce n’est ni le temps de travail, ni la qualification, ni le mérite de l’employé. Ce qui compte au fond, c’est le rapport entre le service rendu par l’employé et ce qu’il coûte. Or les coûts ne comprennent pas seulement le salaire. Le chef d’entreprise doit par exemple tenir compte de la rupture de service qu’implique un congé maternité. Il lui faut une variable d’ajustement pour tenir compte de ce qui est, pour lui, un risque. Ça peut être sur le salaire, sur l’embauche ou sur l’attribution des responsabilités. Peu importe. Si la loi bloque une de ces variables pour tenter de rétablir l’égalité, l’ajustement se fera ailleurs, parce qu’il est nécessaire. C’est tellement vrai qu’on trouve ces choix même lorsque l’employeur est une femme. Ce qui a le don d’exaspérer les féministes, alors que ça démontre tout simplement un certain sens des responsabilités. On peut toujours discuter pour savoir si la différence de salaire est réellement proportionnelle au risque financier, mais il ne faut pas s’étonner de son existence. De la même manière, il ne faut pas s’étonner de ce que certains métiers restent majoritairement masculins, parce que les femmes n’y trouvent pas nécessairement leur compte. Au demeurant, on ne se dit pas aussi choqué quand un métier devient très largement féminin…
Discriminations ethniques ?
Même la couleur de peau peut servir de critère de sélection. Certes, il est plus difficile de trouver un exemple pertinent que pour le sexe, la force physique ou le QI. Mais pas absolument impossible. Au cinéma, c’est chose courante, dès lors qu’on veut illustrer un événement historique ou la diversité de la société moderne. De même, il ne sera peut-être pas très judicieux de choisir un noir pour espionner les Chinois. Alors que pour aller accueillir quelqu’un à la gare de Changsha, c’est fort pratique. Et je pourrais m’amuser à relier toutes sortes de critères à des activités particulières, sans que cela constitue nécessairement des discriminations condamnables. Je pourrais trouver des activités pour les obèses, pour les nains, pour les moustachus et les hommes qui portent les cheveux longs et à l’inverse, des activités dont ils seraient à juste titre exclus.
Il faut bien voir que ce n’est pas à coups de statistiques qu’on peut déterminer s’il y a une injustice, mais qu’il faut considérer très concrètement les contraintes de l’activité en question. Ça ne peut s’évaluer que par rapport au but poursuivi.
À suivre…
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