Une fois de plus, la banque Dexia défraie la chronique : faute d’une recapitalisation, elle risque la faillite. Mais qui l’a poussée vers le gouffre ?
Par Frédéric Wauters, depuis Bruxelles, Belgique.
Revenons un instant en arrière. Un an en arrière, pour être précis. Mardi 4 octobre 2011. Entre l’ouverture et la clôture des marchés, le titre de la banque Dexia dévisse et passe de 1,21 EUR à 1,01 EUR (avec un creux à 0,83 EUR), soit une chute de 17%. Impressionnant, mais pas autant que la lente érosion subie au cours de l’année 2011 : le cours de l’action Dexia est en effet lentement tombé d’un "plus haut" de 3,38 EUR ! En moins d’un an, Dexia aura donc perdu deux tiers de sa valeur. En cause : des actifs toxiques dont la toxicité a grimpé plus rapidement encore que les taux de radioactivité dans les réacteurs endommagés de la centrale de Fukushima. Le résultat de la politique spéculative de ses méchants propriétaires et dirigeants capitalistes ?
La plus nationalisée de toutes les banques
Le hic, c’est que, même avant sa chute, le groupe Dexia était la plus « nationalisée » de toutes les banques ouest-européennes. Il suffit d’ouvrir le rapport annuel 2010 du groupe pour s’en convaincre.
Au 31 décembre 2010, l’actionnariat se répartissait comme suit :
- 17,6% : Caisse des Dépôts et Consignations (le bras financier de l’État Français)
- 14,1% : Holding Communal (une société contrôlée par les municipalités belges)
- 13,8% : Arco Group (une société holding aux mains des syndicats catholiques belges)
- 5,7% : l’État français
- 5,7% : l’État belge
- 5% : Ethias Group (une société d’assurances qui a elle-même souffert de la crise et qui, au départ était une coopérative d’assurance mise sur pied pour les fonctionnaires belges. Elle est actuellement sous le contrôle de l’État et des entités fédérées belges)
En clair : 48,1 % des actions sont directement ou indirectement dans les mains de l’État, et les 13,8% dans les mains des syndicats ! Exit, la théorie des actionnaires capitalistes sans scrupules !
Un conseil d’administration bourré de commis de l’État
Mais peut-être les États se contentaient-ils d’une position passive et le conseil d’administration, noyauté par d’horribles spéculateurs, faisait-il ce qu’il voulait ? Que nenni ! Jetez un œil au conseil d’administration de Dexia, fin 2011 :
Président du Board of Directors : Jean-Luc Dehaene. Un monsieur bien connu des belges, puisqu’il a été premier ministre à maintes reprises.
Chief Executive Officer : Pierre Mariani. Un superbe énarque bien hexagonal, qui fut entre autres chef de cabinet du Ministre du Budget et porte-parole du gouvernement français.
Parmi les administrateurs, dont la liste est longue comme un jour sans pain, on retrouve notamment, à côté de banquiers de bon teint :
- Isabelle Bouillot qui fut entre autres conseiller économique du président Mitterand avant d’occuper le poste de responsable du budget au Ministère français de l’Économie et des Finances ;
- Olivier Bourges, qui fut haut fonctionnaire à la Direction du Trésor, à Paris ;
- Serge Kubla, bourgmestre de la ville de Waterloo, en Belgique ;
- Koen Van Loo, ancien chef de cabinet du ministre des Finances belges ;
- Francis Vermeiren, échevin de la ville de Zaventem.
Notons au passage que parmi les anciens administrateurs de Dexia, on retrouve Elio Di Rupo, premier ministre socialiste du gouvernement actuel.
Un problème avant tout étatique
Un actionnariat au mains de deux États et d’organisations syndicales. Un conseil d’administration dirigé par d’anciens politiciens et où siègent de nombreux commis de l’État. Difficile de prétendre encore que Dexia était le jouet de vilains spéculateurs.
D’ailleurs, Dexia n’est pas la seule banque soi-disant privée à faire la culbute. Prenez Fortis, aujourd’hui démantelée et en partie reprise par BNP Paribas. Rappelons-nous quand même qu’elle est issue de la défunte CGER, la Caisse Générale d’Épargne et de Retraite, une institution bancaire créée par l’État belge et qui a longtemps eu en Belgique le monopole de la récolte de l’épargne publique.
Arrêtons de gaspiller les deniers publics
Je ne suis pas toujours d’accord avec les blogs de gauche. Loin de là. Mais quand je lis ce post de Larissa sur le blog belge Respectivement.be, je ne peux m’empêcher de partager une grande partie de ses constats. Il y a quelque chose d’indécent à forcer la population belge à subir des mesures drastiques d’austérité et une possible hausse de la TVA déjà parmi les plus élevées d’Europe, alors que dans le même temps, le gouvernement n’hésite pas à mettre 6 milliards d’euros sur la table pour recapitaliser Dexia. Mais cette indécence a une cause : la promesse complètement irresponsable du gouvernement Di Rupo (vous vous rappelez, l’ancien administrateur) de garantir 60,5% des financements de 90 milliards d’euros octroyés à Dexia en 2008 et 2009, soit 54,45 milliards d’euros. Devant les difficultés financières du groupe Dexia, le gouvernement a donc le choix entre allonger un peu d’argent tout de suite ou se trouver face à une addition qui transformera la Belgique en pays du Tiers-Monde.
Ce sont ces gens, ces mêmes gens qui ont accordé ces garanties, qui sont aujourd’hui au commandes du gouvernement belge. Suite à des élections où ils ont largement été plébiscités par la population. Et là, moi aussi je sors le sac à vomi.…
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Sur le web.
(NB. une partie des informations utilisées pour cet article proviennent d’une chronique que j’ai publiée l’an dernier sur le site 24hGold)