Malgré les approximations et promesses inconsidérées des deux candidats à la présidentielle américaine, l’économie US se portera mieux que celle de l’Europe. Et ce en raison d'une culture économique sur laquelle les gouvernants de Washington ont au fond peu d’influence.
Par Guy Sorman.
À ce seuil de prétentions, on est tenté de dénoncer la double imposture. Car un Président américain sortant ou entrant ne crée pas d’emplois du tout en dehors de la fonction publique fédérale : au mieux, il suscite des conditions favorables aux entreprises qui recrutent. Romney joue cette carte et dit aux entrepreneurs : je suis des vôtres ! Mais Obama n’est pas en reste, affichant sans cesse combien il aime l’économie de marché. Aucun d’entre eux n’évoque le déficit budgétaire de manière trop précise et aucun n’envisage de prendre des mesures douloureuses pour le contenir. La raison en est que les Américains ont le luxe d’attirer des capitaux du monde entier à des taux dérisoires : contrairement aux Européens, les Américains ont un droit de tirage assez illimité sur l’avenir. Dans le pire des scénarios économiques, les Présidents détruisent l’emploi plus qu’ils ne le créent par les incertitudes que leurs initiatives font peser sur l’avenir, par l’excès des prélèvements publics et avant tout, par le délire des réglementations environnementales et sociales, environnementales surtout.
La démagogie à cet égard n’est le privilège d’aucun Parti. Mais on sera tenté de remettre la palme à Mitt Romney, ce défenseur affiché du capitalisme et du libre-échange. Ne s’est-il pas engagé, s’il était élu, à bloquer les importations chinoises sous prétexte que la monnaie chinoise serait sous-évaluée ? S’il passait à l’acte, les Américains seraient-ils disposés à payer quatre fois plus cher leur téléphone portable et leurs chaussures de sport ? En réalité, le cours de la monnaie chinoise ne détermine pas le flux incessant et aller-retour entre la Chine et les États-Unis : chacun dans cet échange bénéficie de la règle des avantages comparatifs.
Mais, en équité, le Premier prix ex aequo revient à Barack Obama qui promet de « créer » des millions d’emplois dans les énergies renouvelables alors même que les États-Unis sont devenus auto-suffisants grâce à des découvertes sans précédent de gaz naturel exploitable par fracturation des roches.
Malgré ces approximations, mensonges et promesses inconsidérées, l’économie américaine se porte tout de même mieux que l’Europe en tout cas, malgré ses Présidents passés et à venir. La raison en tient à une culture économique sur laquelle les gouvernants de Washington ont au fond peu d’influence. De même que la crise de 2008 fut provoquée par un abus du capitalisme, c’est par cette même passion du capitalisme que la reprise arrive. Le principal ingrédient de ce capitalisme américain est l’innovation : les Américains natifs des États-Unis ou immigrés récents ont la passion de ce qui est neuf et engrangent des brevets à un rythme sans pareil, près de cent mille enregistrés cette année. Ces brevets d’aujourd’hui, barricadés par une solide protection juridique (qui ne respecte pas toujours la concurrence), sont les produits et services de demain. À l’appui de ces innovations se précipitent les aventuriers de la finance : en attirant encore et toujours des capitaux du monde entier et parce que des financiers ont le goût du risque. Selon une étude publiée par l’ESADE à Barcelone, le montant disponible de capital risque est de 7$ par an dans l’Union européenne contre 72$ par an aux États-Unis. La combinaison des brevets et de ces capitaux à risque font le carburant d’une économie en perpétuel renouvellement. Ce renouvellement aussi est intériorisé par les travailleurs, avec plus ou moins de chagrin selon là où on se trouve dans l’économie : mais ce que l’on appelle la « création destructive », la substitution incessante du nouveau à l’ancien, est une norme socialement acceptée.
Tous ces principes ne sont pas inconnus en Europe mais ils ne participent pas positivement de notre culture. Nous préférons en Europe spontanément d’autres hiérarchies que celles de l’entreprise et de l’argent. On ne se présente pas dans une société européenne en annonçant combien on « pèse » en capital. Telle est la raison pour laquelle nous acceptons que l’État se mêle de nos affaires car il apparaît comme relativement neutre et égalitaire. Il ne s’agit pas ici d’établir une hiérarchie entre ces deux cultures qu’un océan sépare mais de constater que les États-Unis croissent naturellement alors que l’Europe stagne spontanément.
Milton Friedman observait en son temps qu’il était difficile d’empêcher les Américains d’entreprendre : les politiciens s’y emploient mais même Obama, avec son fort tropisme social démocrate n’y sera pas parvenu. On pariera donc qu’en 2013, quel que soit le prochain Président américain, les États-Unis dépasseront 2% de croissance et que le chômage descendra en dessous de 8,5%, qui sont les chiffres présents. Et ce sera une excellente nouvelle pour l’Europe car l’économie américaine est depuis un siècle, la locomotive qui nous tire tous. Une tempête sur New-York et le New-Jersey n' y change rien : au contraire, la reconstruction apportera un supplément d'innovation.
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