Ces niches fiscales qu'on aime encore à gauche.

Publié le 02 novembre 2012 par Juan
L'expression sonne comme il faut, elle claque comme un épouvantail pour gauchiste. Nous-mêmes, nous n'avons jamais hésité à en abuser quand il s'agissait de décrire les excès de l'ancien Président des Riches.
« Niches fiscales »
On imagine des cadeaux cachés pour les plus riches, d'injustes avantages pour les plus grands: grandes fortunes, gros salaires, grandes entreprises... Seuls les « grands » savent ainsioptimiser leurs impôts pour en payer le moins possible. Les niches fiscales incarnent l'un des travers de notre époque, une dérogation à l'effort collectif. Elles ont (presque) toujours des motifs bien établis, des défenseurs prêts à surgir en cas de mise cause. Les plus coûteuses sont la niche dite Copé (qui exonère d'impôt les plus-value de cession de ventes de filiales), la TVA réduite sur les travaux à domicile (5 milliards d'euros) et la restauration (3 milliards d'euros)
Ces quinze dernières années, leur coût a explosé plus rapidement que notre richesse nationale, un vrai paradoxe. La Cour des Comptes appelle cela "la préservation insuffisante des ressources publiques".
A la faveur de l'examen du projet de loi de finances, les niches fiscales se sont donc immédiatement invitées dans le débat.
Rappelons le contexte.
Pendant la campagne, François Hollande avait promis de sérieusement les raboter, 29 milliards d'euros de moins nous avait-il dit. Dans un rapport de l'an passé, des inspecteurs des finances jugeaient que la moitié d'entre elles étaient inefficaces. En 2008 déjà, nous nous inquiétons de leur ampleur. Les rapports parlementaires s'empilent et ne seraient pas suivis d'effet. Nous attendions de la rigueur juste qu'elle sabre dans ces avantages qui tordent la loi commune.
Et pourtant...
Il faut toujours lire le détail des rapports parlementaires plutôt que les raccourcis de quelques éditocrates.
En écoutant nos députés, de droite comme de gauche, voici ce que nous avons appris ces derniers jours.
1. L'équipe Sarkozy avait bien caché le coût des niches fiscales
L'ancienne administration sarkozyenne n'avait pas chiffré le coût réel des niches fiscales en 2009 et 2010. « En ce qui concerne les années 2009 et 2010, le précédent Gouvernement n’avait pas fourni les montants constatés des dépenses fiscales à l’issue de ces deux exercices. Il est donc impossible de savoir si les objectifs fixés par les projets de loi de finances initiale ont été respectés» expliqua Christian Eckerts, le rapporteur socialiste. Personne, en commission des finances, ne le contredit.
Les chiffres qui suivent restent donc des estimations.
2. Les niches fiscales de l'Etat nous coûteraient environ 70 milliards d'euros par an. Depuis 2002, 21 nouvelles niches fiscales ont été créées. En 2011, l’objectif de dépense fiscale aurait atteint 72 milliards d’euros, soit un dépassement de l’objectif évalué à 4,5 milliards d’euros. Hors changements de méthode de chiffrage, le dépassement s’établit à 3,3 milliards d’euros.
En 2012, cet objectif est revu à la hausse de 5 milliards d’euros et s’établirait à 70,9 milliards d’euros. Déduction faite de l’incidence des changements de méthode de chiffrage, la progression par rapport à l’objectif initial s’élèverait à 3,8 milliards d’euros.
3. Comme l'ont souligné quelques confrères désemparés, la facture des niches fiscales reste stable pour 2013: l’objectif de dépense fiscale reste fixé à 70,7 milliards d’euros, qui est la résultante d'une réduction de 2,2 milliards, d'une augmentation mécanique de 1,6 milliards, et de 0,6 milliards de création. C'est une déception, puisque François Hollande avait promis de les réduire drastiquement. On aurait aimé, par exemple, qu'il sucre ce bonus symbolique qui avantage les journalistes - 7.650 euros de réductions pour frais. Ni Christophe Barbier ni Jean-Michel Aphatie ne se sont insurgés contre ce maintien d'un tel avantage acquis.
4. Les niches fiscales ont une définition fluctuante. Officiellement, il s'agit « des dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme, c’est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ». Comme le rappela Christian Eckert, le rapporteur général (PS) du budget, pourquoi donc les différentiels d'impôts sur le capital ne seraient pas considérées comme des niches fiscales ? « Ainsi, en considérant comme des dépenses fiscales la taxation des revenus du capital à un niveau inférieur à celui du travail et la fameuse niche Copé, nous récupérons 5 milliards d’euros. »
Le rééquilibrage de l'imposition des revenus du capital sur le barème des revenus d'activité est une réduction des niches fiscales.
Une vraie.
5. Sarkozy a aussi caché le fameux gel du barème de l'impôt sur le revenu.
La non-indexation dudit barème sur l'inflation, décidée en catimini sous Sarkozy, rapportera 1,8 milliard d'euros cette année, puis 3,5 milliards en 2013. Et 30% de la recette provient des 10% des contribuables disposant des revenus imposables les plus élevés. Christian Eckert, rapporteur socialiste
du projet de budget, l'a facilement reconnu, à Charles de Courson, ce député Nouveau Centre qui faisait mine de découvrir la catastrophe: « Le gel du barème de l’impôt sur le revenu n’est une invention ni de M.Ayrault, ni de M. Hollande, puisque c’est vous qui l’avez voté et que nous l’avons combattu. Aujourd'hui, il est pourtant nécessaire, ne serait-ce qu’à cause de la situation budgétaire que vous nous laissez en héritage. » L'héritage est une excuse facile mais connue et réelle. Des dizaines d'experts l'ont chiffré, évalué, étudié pour la campagne de François Hollande.
Qui peut prétendre être surpris ?
Mais le gouvernement a créé d'autres niches fiscales ... bien de gauche, et tout à fait progressives: la plus emblématique d'entre elles est justement la décote instituée pour éviter de pénaliser les foyers des deux premières tranches de l'impôt sur le revenu avec le gel du barème de ce dernier (soit plus de 7 millions de ménages).
Le gouvernement a ainsi proposé de dépenser 295 millions d'euros par an, pour 2013 puis 2014 pour extraire les les foyers modestes de ce gel de barème (soit un relèvement de la décote de 9%).
En langage fiscal, on appelle cela... une niche fiscale. Pour mémoire, le principe de cette décote, pour éviter l'effet de seuil de l'entrée dans l'IR, a été créé par le gouvernement Mauroy en 1982.
Dans la même logique, si la redevance audiovisuelle a été augmentée de 2 euros par an, le plafond de revenus en-deça duquel certains ménages (veufs, handicapés, etc) en sont exonérés a été relevé de l'inflation (2%).
Autre niche fiscale renforcée par la gauche de gouvernement, la fiscalité locale a été réduite pour les bas revenus pour neutraliser l'impact potentiellement négatif de cette mesure générale qu'était le gel du barème de l'IR. Cela paraît technique mais c'est en réalité très simple: nombre d'avantages sociaux et déductions fiscales locales (taxes foncières, taxes d'habitation, etc) sont conditionnées à la non-imposition sur le revenu. En gelant le barème de l'IR, Nicolas Sarkozy avait provoqué une cascade d'impositions complémentaires pour quelque 200.000 foyers.
La majorité Hollandaise a donc décidé de créer une autre niche fiscale, parallèle à la première, un « relèvement ciblé afin de préserver la situation des foyers de condition modeste, qui bénéficient des dispositifs d’allègement de fiscalité directe locale », pour quelque 50 millions supplémentaires par an.
Qui s'en plaindra ?
Article publié chez RAGEMAG