Dernier volet de la trilogie "Daniel Craigienne", Skyfall est signé Sam Mendes, le papa d’American Beauty ou Les Noces rebelles. Autant vous dire que cela change tout. Son 007, bien que respectant les codes inhérents au mythe construit et déconstruit au fil des décennies (patriotisme, classe, séduction et espionnage), fait peau neuve : fidèle à l’esprit Bond mais ultra moderne ; divertissant mais d’une profondeur toute nouvelle. Le récit, par ailleurs, sied parfaitement à la volonté de Mendes de psychanalyser son héros : en revenant aux origines (traumas passés, maison d’enfance), le cinéaste insuffle une âme à l’action. Dans Skyfall, il n’y a pas que des séquences spectaculaires : il y a de l’humain. Pas qu’une mise en scène efficace, mais de vrais plans-tableaux de cinéma, époustouflants de beauté, comme en témoigne le final dans les landes écossaises, aux allures de western métaphysique, crépusculaire. L’intrigue, elle, est vraiment surprenante. Tout débute en Turquie, avec un Bond laissé pour mort. Tout se poursuit à Londres lorsque le MI6 est attaqué, M menacée (parfaite Judi Dench). C’est l’occasion pour Mendes d’allier thématiques contemporaines (cybercriminalité, menace terroriste), et sous texte quasi oedipien (la relation de 007 et du méchant avec M, leur mère symbolique).
Le méchant, parlons-en : la plus grande réussite de ce Skyfall : un être torturé, au cœur des ruines, isolé parmi ses machines électroniques, exclu du monde moderne, qui- d’un clic- sème le chaos. Le mal viral, l’attentat au bout d’un fil. Javier Bardem, inquiétant, ambigu, volerait presque l’affiche à Craig tant il est crédible. Et c'est sans peine d'ailleurs qu'il balaye la James Bond girl Bérénice Marlohe, qui n’arrive pas à la cheville d’une Eva Green pour ne citer qu’elle, ainsi que les seconds rôles (Q incarné par Ben Whishaw, Mallory par Ralph Fiennes). Mendes, en 2H20, n’ennuie jamais, même s’il multiplie les plages de silence, les réflexions, faisant de Bond un héros tourmenté, figure (presque) sur le déclin, seul face à la mort et la vieillesse. Il fait de Skyfall la proposition bondienne la plus intéressante de ces dernières années, se refusant à l’efficacité seule, la privilégiant ornée de cérébralité, de noirceur, de réflexions quasi philosophiques (le temps, la perte, l’humain). On retiendra alors deux scènes, au-dessus du lot, et qui résument à elles-seules une œuvre dense et hybride : la destruction d’une rame de métro londonienne, et, la récitation- au milieu du drame- d’un poème de Tennyson. Efficace et sensible : le cocktail de la maturité.