Plus j’essaie de suivre l’actualité, et plus mon penchant atavique pour la misanthropie la plus féroce se fait abrupt. Les jours se suivent et foisonnent d’imbéciles malheureux qui voudraient que tout le monde le soit. Commençons par les dépressifs les plus chroniques, qui se recrutent dans les rangs de toutes les religions dites du livre. Les chrétiens font la gueule parce que le gouvernement envisage d’ouvrir le débat sur le mariage pour tous et sur l’euthanasie. Manuel Valls s’est même fendu d’une visite au Vatican pour exposer aux autorités pontificales les bienfaits de l’ennui conjugal appliqué à tout le monde. Mais sérieusement, on s’en fout de l’avis du Pape, et on n’a pas besoin de négocier avec ce vendeur d’arrière-mondes niais comme Walt Disney et Star Wars réunis pour voter des lois. Si lui et ses ouailles ne sont pas contents, ils n’ont qu’à en référer à leur patron imaginaire et faire leur boulot de martyrs correctement.
Idem pour les autres agités du culte. On ressort l’affaire Merah. Netanyahou est invité à l’Elysée par le président normal, qui fait de la lutte contre l’antisémitisme une « cause nationale ». S’il s’agit de lutter contre la discrimination dont les Juifs font l’objet en raison de leur judéité, je suis parfaitement d’accord, et cette cause nationale devrait aussi être étendue aux Musulmans, aux Noirs, aux Rroms, aux LGBT, aux sans-abris, aux sans-papiers ainsi qu’à toutes les victimes de discrimination. Ce qui devrait valoir quelques comparutions en justice au spécialiste ès-criminalité patissière Jean-François Copé, à la rédaction du Point et à tous les paranoïaques qui agitent la menace islamiste et le recours à la Nation comme ultime rempart contre la « barbarie ». Et on serait ravi si le premier ministre israélien appliquait la même mesure dans ses frontières et dans les colonies qu’il continue à étendre au mépris du droit international.
En revanche, et je le subodore en ces temps où la laïcité prend des coups de canifs réguliers, si c’est pour protéger les breloques et les superstitions de l’Age de Bronze de tout ce petit troupeau de moutons à prophète, vous pouvez vous brosser, je me désolidarise de la cause nationale. Quoiqu’il en soit, j’ai toujours trouvé absurde de demander à un responsable du culte d’évoluer ou de prendre des positions progressistes: la loi est censée être la même pour tout le monde, indépendamment des convictions religieuses, et qu’on croie au petit Jésus, à Shiva, à Blanche-Neige et les sept nains ou à la théière de Russell, c’est comme pour les rapports intimes, il y a des endroits pour ça. On ne négocie pas avec les contes de fées. Et si un beau jour, la discrimination disparaît (on peut rêver), les extrémistes se retrouveront gros-jean comme devant et auront bien plus de mal à nourrir leur morale du ressentiment et à recruter des pauvres hères pour jouer les kamikazes.
Au deuxième rang des pleureuses qui rendent le monde triste à mourir et chiant comme la pluie, les pigeons, les dindons et autres esclavagistes refoulés qui couinent comme des chatons affamés parce qu’on voudrait les faire participer un tant soit peu à la solidarité nationale. Il est vrai qu’après douze ans de droite, les pauvres volatiles s’étaient habitués aux cadeaux et aux niches fiscales. La compétitivité de la France est en berne, nous serinent-ils, et le coût du travail est si exorbitant qu’offrir un SMIC à un salarié pour un boulot débile devient un luxe comparable à une villa berlusconienne. Voilà des gens qui n’ont que la concurrence et le risque à la bouche et qui pleurent à chaque fois qu’on modifie les règles du jeu. Et bien s’il est si pénible d’être entrepreneur de nos jours, trouvez-vous un vrai boulot ou inscrivez-vous à un concours de la fonction publique, vous aurez enfin la vie de nabab assisté dont vous rêvez en secret.
Pour être juste, il faut bien avouer que les travailleurs aussi sont pénibles. Dans deux semaines se tiendra une grève générale européenne pour protester contre l’austérité. Quoique je soutienne cette noble cause, je doute un peu de son efficacité. Cela fait des semaines que Grecs et Espagnols usent le bitume de leurs capitales sans résultat, et une journée, même européenne, ne fera pas reculer la finance. Mais, je vous le demande, camarades précaires et travailleurs pauvres, pourquoi se contenter d’une journée? De toute façon, les banques vous affameront quand même à terme, alors pourquoi ne pas prendre carrément un mois de relâche, et ne pas réclamer tout de go la fin du salariat au lieu de quémander l’aumône d’un boulot à la con et d’une pseudo-dignité de consommateur? Pourquoi ne pas s’approprier les usines pour ne produire que ce dont on a besoin ‘(et du coup bosser deux fois moins) au lieu de débattre comme nos maîtres d’efficacité, de productivité et de séparation des banques (alors qu’on pourrait aisément couler les banques pour de bon)? Pourquoi persister à voter pour des gens qui vous proposent dans le meilleur des cas un peu de sel en plus sur des nouilles mal cuites, alors qu’on pourrait avoir le champ de blé, la salière, et la sauce tomate? Pourquoi les pauvres sont-ils aussi modestes?Reconnaissons au moins aux manifestants le mérite d’essayer, quand la majorité contemple les ruines tomber.
De fait, on a presque l’impression que tout le monde se contenterait d’une « dictature modérée » pour reprendre les mots du parachutiste Baumgartner (dont le vide cérébral équivaut manifestement à celui dans lequel il a sauté) pourvu que la soupe soit chaude et qu’il n’y ait pas trop de fuites dans le toit. Même les curés vindicatifs ont plus d’ambition. Et la multitude d’initiatives visant vraiment changer les choses sont pingrement dissimulées par les médias qui ne méritent pas leur titre de « quatrième pouvoir ».
Vraiment, le XXIè siècle n’est pas spirituel comme le disait l’alibi culturel de De Gaulle, mais incurablement nihiliste et romantique. On est peut-être en train d’écrire le plus grand martyrologe de l’Histoire, à la fois religieux et laïc. On n’ose plus se faire des ennemis, on gazouille entre « partenaires sociaux ». On s’abrite derrière des idéaux minuscules au lieu de se coltiner la réalité à pleines mains et de lui mettre une bonne raclée. On ratiocine sur le libre-arbitre et la responsabilité et en même temps on se cache derrière la nécessité pour ne pas admettre qu’on préfère le confort aux grands espaces et aux sommets où certes, on se les caille, mais où on sait qu’on est vraiment en vie.
Et quand une époque est malade du nihilisme, à la fin, c’est souvent les fachos belliqueux et les grenouilles de bénitier manichéennes qui gagnent. Ce qui laisse à penser que c’est bien la peine de distribuer tant de prix Nobel si on ne sait plus faire de dynamite.