On aura également soin d'encourager, naturellement sans y toucher, les millénarismes de toutes sectes et les climats de terreur. Il y a tout lieu de croire, si l'on s'en donne tant soit peu la peine, que cette logistique trouvera sans mal son public, qui affluera. Bien sûr, il ne s'agit pas de suggérer à chacun la position d'ascète, infiniment suspecte tant qu'il est isolé, suspecte de misanthropie, de faiblesse, d'humeur noire et de sauvagerie, de manigances et de magie. Quels qu'en soient la variante et le prétendu prestige, anachorète, ermite, abstinent, cynique, stylite, santon, sannyâsin ou gymnosophiste, ces gens-là ne savent tout simplement pas tenir un livre de comptabilité, une cuisine, un rôle. L'ascète, au fond, n'est qu'un échec, ou bien n'est qu'un vaincu, ou bien n'est qu'un propre à rien dévoré d'ambition, dont on ne peut que se féliciter qu'il ait choisi de lui-même de se mettre au ban, il aurait été déplaisant de s'en charger. Non, il s'agit précisément de la suggérer, progressivement, à tous : alors les difficultés font long feu, puisque le vivre ensemble conserve le dessus, puisqu'aucun ne peut plus se piquer d'aucune marge, d'aucun amour-propre déplacé, d'aucun dégoût spéculatif, nous y sommes. Mieux, ce qui n'est souhaitable ni pensable pour le citoyen pris un à un, la sagesse de l'ascète, la retraite au désert, le destin de fou de l'île, n'est rien moins que nécessaire pour les nations qui, un beau jour, se dépouilleront de tout et d'elles-mêmes, s'épileront, chercheronts sacs et cendre d'un seul élan, le seul qui se puisse, et ne s'en iront pas, les mains dans les poches, mais entreront enfin dans un bel état immobile de stase, le seul qui se puisse.