Ma peur bleue, ma groseille,L’amour est une abeilleQui me mange le cœurEt bourdonne à ma boucheQue tu nourris et touchesDes baisers du malheur. Mon ange sans oreilles,Ma peur bleue, ma groseille,Ne viendras-tu jamaisÀ l’envers de ma porte?Es-tu de cette sorteAnge sourd et muet? Tes mains sans teint, poliesAu jeu de tes folies,Se mouillent à mes yeuxEt tu ris de ces fleuvesOù naviguent mes vœuxParmi tes robes neuves. Ne me donneras-tuQue ton chapeau pointuÀ porter ma sorcière,Et nul autre baiserQue ces nids de dangerEt ces ruches entières? Ne me permets-tu pasDe t’enlever tes basÀ l’envers de ma porte?Je veux voir tes pieds nusEt les abeilles mortesDu bonheur revenu. Mon ange sans oreilles,Ma peur bleue, ma groseillePosée sur mes désirs,Ma chambre est grande ouverteQue coupe l’allée vertePar où tu dois venir. Ma peur bleue, ma groseille,Viens à fleur de mes veillesEt que tombe le jourÀ l’envers de ma porte.Et que le vent emporteLe chemin du retour.
Louise de Vilmorin, A l'envers de ma porte, dans: Poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1970)