Le sommeil ne se laissant guère apprivoiser en cette première nuit de l’année, je viens confier ici mon désarroi devant la désolation de la République sénégalaise. En peu de mots, dire l’inexorable déchirure de ma conscience et ma détermination à être acteur de l’histoire du pays qui m’a donné naissance et dont la mémoire me porte.
Ce discours, tant sur la forme que sur le fond, a achevé de me convaincre qu’il serait périlleux, pour le Sénégal, pour l’Afrique et le monde, de laisser se représenter aux élections présidentielles, cet homme de 85 ans à qui le peuple sénégalais a confié à deux reprises sa destinée. Nostalgique de l’époque senghorienne, demeurait dans ma mémoire le dernier discours de l’ancien président Senghor alors que j’avais à peine dix ans, j’attendais, certes naïvement, un miracle, mais je n’ai eu droit qu’à des élucubrations désarticulées: un spectacle baroque de la décadence d’un homme qui s’y l’on y prend en garde va entraîner le pays tout entier.
Rituel républicain par excellence, ce discours, prévu à 20h et délivré à 22h dans l’opacité la plus totale et le bricolage le plus ridicule, est une des manifestations les plus évidentes du déclin des institutions sénégalaises et de la manipulation des consciences dans le style le plus rétrograde, le plus grossier mais aussi le plus sûrement efficace pour berner son monde.
Il est manifeste que cet homme, que j’ai admiré et qui m’aura donné une de mes plus grandes joies en votant la première loi africaine déclarant la traite des noirs crime contre l’humanité, n’est plus maître ni en lui-même, ni en son pays. Qu’une cohorte d’affidés aux abois, après avoir fait main basse sur le trésor national, s’apprête à plonger la République dans la nuit noire de l’oppression et dans le tréfonds de la régression politique.
Le pays décrit dans ce discours est loin du Sénégal de chair et de sang que je connais. Ce peuple d’intelligence et de passions qui a toujours su concilier la fierté de son identité, son enracinement, à son génie, son ouverture, au monde et au progrès.
Pour avoir voyagé beaucoup ces dernières années et rencontré bien des observateurs, il est manifeste que mon pays n’est plus que l’ombre de lui-même c’est à dire une société post-coloniale livrée à une aristocratie confrérique boulimique, à une classe politique prédatrice qui la pressure et où une super élite d’amuseurs publics règne sur une petite bourgeoisie sans boussole, tandis que les masses populaires sont impitoyablement refoulées vers les frontières concentrationnaires de la banlieue où la misère a supplée définitivement une pauvreté dont on s’était accoutumée. De là découlent toutes les régressions subies et dénoncées: la ruine de la rationalité rognée par le fanatisme et la superstition, la propagation des corporatismes et la violence des égoïsmes catégoriels, l’irruption d’un libéralisme sauvage qui réduit la production à une simple excuse du profit et l’Etat qui se délite sous les coups de bélier des intérêts particuliers et sacrifie le moral de ses serviteurs au désir pervers des groupes de tous alois.
Le fait est que l’Alternance, incarnée par le Président Abdoulaye Wade, a été incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels le peuple l’appelait : le problème de l’Ethique et le problème de la dignité. Déféré devant la barre de la raison et de la conscience, ce régime est littéralement impuissant à se justifier, s’abritant derrière l’arrogance, la violence, la corruption, la haine, le mensonge, bref une déshumanisation progressive qui risque d’entraîner le Sénégal tout entier. La vérité c’est que l’Alternance est indéfendable. Son dossier est, de jour en jour, accablant, son échec patent, son cœur trop souillé, ses articulations trop rouillées pour insuffler le progrès au pays.
C’est à ce malaise, à cette inquiétude qu’il nous faut faire face. A l’instar de la jeunesse regroupée au sein du Mouvement 23 juin, nous avons à œuvrer pour un nouvel Humanisme sénégalais, extirpant du corps du peuple tout le venin répandu par les dissensions partisanes, le goût du pouvoir et la corruption. Le temps est, donc, venu du combat pour tous ceux qui ne veulent se résigner devant l’inéluctable, par-delà les clivages politiques factices.
Car, bien au-delà des prochaines échéances électorales, ce que nous exprimons c’est notre attachement à la modernité démocratique et notre aspiration au progrès social et politique.
Mais bien entendu cela passe la question électorale car elle augure de l’avenir du pays. Et, mon avis, exprimé depuis le projet de réforme constitutionnelle de juin 2011, c’est qu’il n’est sain ni pour une démocratie de conserver un régime au-delà de deux mandats, ni d’accabler un homme, quelque soit son génie, d’une responsabilité manifestement devenue trop pesante sur ses épaules. La candidature de Me Abdoulaye Wade est devenue, par conséquent, non seulement inopportune mais périlleuse pour la stabilité des institutions et la crédibilité du Sénégal à l’étranger.
Cependant si la civilisation sénégalaise a choisi de refuser la décadence qu’on lui promettait, il convient de ne se pas perdre dans les clivages partisans et la dispersion qui ne sont que manipulation et immobilisme. Hors de toute diabolisation et de toute victimisation, nous devrons garder une mémoire intime de la faillite de nos régimes successifs, de la duplicité de nos chefs religieux et de nos démissions face aux dérives premières. Dès lors, ce nouvel Humanisme sera puissant dans la mesure où il abandonnera le piège de l’ambition pour l’ambition, de l’avidité et de l’attente, c’est-à-dire le dispositif politique classique. Armé de patience, il nous faudra retrouver la volonté de rebâtir ce qui été saccagé, le courage d’innover au lieu d’imiter, la force d’élaborer un nouveau sénégalais, débarrassé des tares de l’Alternance mais respectueux et reconnaissant envers ses acquis, enraciné dans ses valeurs et ouvert aux enjeux de la « Civilisation de l’Universel ». Nous avons à transformer notre pays, à faire confiance et associer notre jeunesse aux enjeux d’avenir, et à insuffler à chacun(e) d’entre nous l’ambition d’être meilleur qu’il n’est aujourd’hui.
Et ce qui demeure à la fin de tout, par la pensée ou par l’acte, c’est le combat, encore le combat !