Vous seriez venu ici il y a deux ou trois ans, vous auriez mieux compris car aujourd’hui dans l’immeuble c’est plus comme avant. Maintenant, c’est comme partout, enfin quand je dis comme partout, je parle des immeubles bien tenus. Vous voyez ce que je veux dire…
Quand on entre dans le hall, c’est calme. Bien entendu il y a des gamins qui dévalent l’escalier pour aller à l’école, des portes qui claquent à cause d’un courant d’air, un marteau qui s’excite parce qu’il a vu un clou qui dépasse où une mère qui gueule parce que ses mômes ont cassé un truc dans l’appartement. Mais bon, la vie en communauté c’est ainsi.
Par contre, il y a deux ou trois ans comme je vous le disais, dans l’escalier on entendait la radio qui braillait toute la journée. Ca venait du second étage, chez madame Duzebergowitcz. Une dame âgée, veuve depuis de longues années déjà, elle n’avait que sa radio comme compagnie. La télé ça ne lui disait trop rien, « quand je vois la tronche des présentateurs ou le cul des chanteuses, j’éteins le poste ». Attention, ce n’était pas la petite vieille aigrie et détestée de tous, au contraire.
Elle était même plutôt sympathique, toujours prête à garder un gamin au retour de l’école quand la mère devait sortir faire une course ou bien offrir un petit biscuit aux mômes qui passaient sur son palier. Tout le monde l’appelait mémé Duze, c’était plus simple que son nom à coucher dehors et puis ça avait un côté familial. D’ailleurs elle n’a jamais protesté qu’on l’appelât ainsi.
Bien sûr on lui demandait à mémé Duze, « Vous ne pouvez pas baisser un peu le son de votre radio ? », mais la vieille elle avait de la répartie, « Pourquoi vous plaindre, vous pouvez l’écouter gratuitement ! ». Nous on voulait bien être gentils, mais des fois ça agaçait ce tintamarre permanent de huit heures du matin à dix-neuf heures, réglé comme à l’armée.
Certains sont allés se plaindre au commissariat mais quand ils ont vu la peine causée à mémé Duze après qu’une paire de flics soient venus la tancer, ils ont regretté leur action. Du coup, tout le monde râlait chez lui et personne ne disait rien dehors. Jusqu’au fameux jour.
C’était un mardi, je m’en souviens car c’est le jour du marché et que je n’ai pas pu faire mes courses ce jour-là. En sortant de mon logement, j’habite au quatrième, j’ai senti que quelque chose clochait, mais impossible de savoir quoi. Je ferme ma porte à clés, je descends l’escalier, j’étais tout bizarre. Et puis j’ai réalisé que le silence régnait dans l’immeuble. Pas de vacarme, pas de radio, rien.
En arrivant sur le palier de mémé Duze, deux voisins écoutaient à sa porte, inquiets tout comme moi de ce silence inhabituel. Nous nous regardions sans trop quoi savoir faire. Nous frappons plusieurs fois, pas de réponse. On n’enfonce pas la porte d’une dame âgée sans une bonne raison. Enfin, n’y tenant plus, une, deux, trois, la porte est mise à bas. Je résume, nous avons trouvé mémé Duze noyée dans sa baignoire. Elle avait glissée en voulant en sortir, c’est ce que l’enquête de police en a conclu.
Depuis, on n’entend plus la radio de mémé Duze dans l’escalier, mais les télévisons des voisins. Vous voyez le tableau ? Je ne suis pas certain que ce soit mieux.