En 1939 et 1940, Otto J. Steiner, un mélomane passionné, à moitié juif, voit ses derniers jours arriver dans un sanatorium de Salzbourg. Nous suivons ses pensées jour après jour, par le biais de son journal, ses appréhension quant à la tuberculose qui le ravage peu à peu, mais aussi face au nazisme montant, à la folie des Allemands qui se manifeste jusqu’au cœur de l’art musical. Otto voit avec horreur ces mécréants invertir par la force les salles de concert… Et imposer leur vision des choses, leur faste démesuré, leur omnipotence, qui lamine la moindre forme de liberté d’expression, leurs interprétations clinquantes et sans nuance de l’œuvre de Mozart.
Otto voudrait contester et faire un geste pour contrecarrer cette folie liberticide. Mais que faire quand la maladie enlève les dernières forces ? Protester à mots couverts dans son journal, au risque qu’une fouille mette à jour son antipathie de la race dominante, rabâcher des idées révolutionnaires… Pester contre un personnel médical indélicat, et des malades décatis qui décèdent dans un dernier souffle tout autour de lui… Il parviendra quand même à donner un camouflet aux nazis, à sa manière… Il voudrait supprimer le mal à la racine, commettre un attentat… Mais c’est finalement de manière bien plus subtile qu’il tournera le troisième Reich en dérision, jouissant même du plaisir de voir ses adversaires dupes de sa machination…
« Sauver Mozart » est donc écrit en grande partie comme un journal, sobre, d’une écriture simple, faite de phrases courtes. Un journal avec ses qualités et ses défauts. On y entre sans difficulté, dès les premières lignes. Le courroux d’Otto s’impose à nous dans toute son horreur, ce monde de phtisiques laissés pour compte, lentement agonisants, alors qu’au dehors la folie s’empare du monde. Le lecteur n’aura point de mal à ressentir toute la douleur de cet homme courbaturé mais lucide. En revanche, le propos est volontiers insistant et répétitif, ce qui est assez logique finalement et donne du crédit à cette forme d’écriture. Otto rabâche, ressasses, maugrée… C’en devient un peu agaçant, à force, même si le livre est court.
D’aucun, dont je fais partie, attendront que quelque chose de décisif vienne relancer l’intérêt… Et il faudra patienter jusqu’en milieu de volume, pour qu’enfin Otto sorte de son grabat et entreprenne un acte singulier. Je ne puis en dire plus, sous peine de gâcher le peu d’intrigue… Cependant, cet événement m’a semblé hautement improbable et peu crédible, sachant le sens de l’organisation, le côté tatillon, et la prudence extrême des nazis. Qu’on songe par exemple que toutes les communications étaient cryptées par un système redoutable, appelé Enigma, qui a nécessité l’intervention de deux mille scientifiques alliés pour en percer le secret. Dans cette optique, le petit coup d’état d’Otto parait vraiment léger, impensable, et tout à fait factice. Le début d’intrigue, ainsi créé, est d’ailleurs balayé en quelques pages, et Otto s’en retourne maugréer dans sa chambre. Il parviendra tout de même à réaliser son rêve de revanche en fin de volume, de façon sagace… Mais ce journal souffre un peu du manque d’un acte plus fort, un coup d’éclat ou action remarquable. Il reste la valeur intellectuelle de l’ouvrage, son côté métaphorique… L’exemple d’un homme qui parvient à déjouer un système par une volonté farouche. Si « Sauver Mozart » peut sembler anecdotique, il est toutefois plus complexe et subtil qu’il paraît. L’auteur parvient à sortir du cas particulier pour en extraire une philosophie plus universelle, à titre d’exemple…
Sauver Mozart de Raphaël Jerusalmy. Éditions Actes sud
Date de parution : 17/03/2012