Comme souvent chez Hopper, un titre anodin cache une indication de lecture : le sujet principal n’est pas la pièce vide, mais la lumière. En non pas celle d’un réverbère, mais du soleil.
Sun in an empty room
1965 Collection privée
La fenêtre
La fenêtre ouvre un passage entre le dehors, presque totalement rempli d’un feuillage à l’ombre épaisse, et le dedans, presque totalement vide.
L’angle du mur
Un angle du mur, peu explicable, coupe le tableau presque en son milieu . La encore, le titre nous dit qu’il ne vaut pas la peine de s’interroger sur ce coin, sa raison d’être et ce qu’il cache. Le sujet étant la lumière, cette arête sert à couper en deux celle qui se projette sur le mur, un coin c’est tout.
Les deux portes
Scindée par l’arête, la lumière de la fenêtre dessine deux portes virtuelles : une grande et une petite. Mais en tant qu’ombres portées, les obliques supérieures devraient être dans le prolongement l’une de l’autre. Or celle de la porte de gauche est plus basse qu’elle ne devrait, accentuant artificiellement sa petitesse.
Cette erreur de dessin est peut-être à mettre au crédit de l’humour de Hopper, géant de 1m90, à l’encontre de sa petite femme. Les deux portes séparées par l’ombre de l’arrête renvoient au couple qui habite cette maison : celle d’Edward est de hauteur normale, c’est la petitesse de Jo qui offense les lois de la nature.
Two comedians, 1965 Collection Sinatra
Après Sun in an empty room, Hopper peindra encore deux tableaux : dans le tout dernier, Two comedians, il se représente habillé en Pierrot en compagnie de sa femme. Même composition de gauche à droite : la petite Jo, le grand Edward et l’arbre immense , même contraste lumineux entre le blanc des costumes et le noir de la scène. Au point que Sun in an empty room peut apparaître comme une répétition, en privé, des adieux du peintre à la scène.
Des adieux privés
Sun in an empty room est une profession de foi dans le pouvoir magique de la peinture : puisque la fenêtre permet de passer de l’arbre à la pièce, du dehors au dedans, peut-être est-il possible, au dernier moment, d’utiliser son pouvoir projectif pour ouvrir le mur, et passer du dedans à un outre-dedans encore plus intime.
Ou bien un constat : du couple ne resteront de vivant, dans la maison vide, que deux tâches de lumière mobiles.
Le barreau qui manque
La fenêtre à guillotine est coupée en deux par un barreau horizontal. Hopper n’a pas oublié son ombre sur la tranche de l’embrasure : mais il ne l’a pas prolongée dans les zones lumineuses du mur ou sur le sol : nouvelle erreur manifeste.
La lumière dans cette pièce vide a décidement des propriétés étranges :
horizontalement elle divise , verticalement elle fusionne…
Le soleil bas
L’ombre du barreau que Hopper a laissée pour attirer notre attention pointe vers un soleil assez bas, à son lever ou à son coucher. Or un soleil bas projetterait la fenêtre uniquement sur le mur.
La soleil haut
En revanche, la projection sur le plancher correspond à un soleil de midi, qui supprimerait la projection sur le mur.
Au delà de la dialectique hoppérienne du dedans et du dehors, de l’ombre et de la lumière, l’impression d’inquiétante étrangeté que produit le tableau tient à des « erreurs » de dessin destinées à attirer l’attention :
- la « porte » trop basse renvoie à la trop petite épouse
- la lumière projetée fusionne deux soleils, l’un très haut et l’autre à son couchant
- la suppression de l’ombre du barreau permet de ne pas déceler au premier coup d’oeil l’impossibilité physique de ce double éclairage