© Inconnu: « Faites demi tour, on a tout foiré »
Marinelada. C’est le nom d’un petit village de même pas 3000 habitants, près de Séville, perdu parmi les oliviers d’Andalousie. Il a fait comme on dit « le buzz », il y a quelque temps déjà. On en entend moins parler aujourd’hui.
Mais à la lumière de la crise, il n’est pas inutile d’observer d’autres modes de fonctionnement de société et Marinaleda est un exemple parmi tant d’autres.
Il ne s’agit pas d’ériger Marinelada en modèle. Chacun portera son jugement, s’y reconnaîtra ou pas. Il n’empêche que Marinaleda mérite d’être connu.
Les plus désabusés et pessimistes pensent que pour vivre en Société, les Hommes ont tout essayé et que vraisemblablement on se réoriente de nouveau , lentement mais sûrement puis par le chaos en raison de l’extinction des ressources, vers un mode de vie individuel, où chacun devra assumer plus ou moins seul sa propre subsistance alimentaire et économique. Ça a déjà commencé en Europe, ou des micro-économies alternatives se développent dans tous les Etats.
Les plus optimistes pensent que la richesse produite peut se partager dans un équilibre entre le travail fourni et le mérite de chacun, bien loin du système actuel où seuls quelques-uns accaparent les richesses jusqu’à l’absurde absolu et font tout pour que le système perdure.
Marinaleda, enfer ou paradis?
« Juan Manuel Sánchez Gordillo a fait la une des journaux ces derniers jours après avoir mené une “expropriation forcée” de produits alimentaires dans plusieurs supermarchés, au côté de ses camarades du Syndicat andalou des travailleurs (SAT), pour les distribuer aux plus défavorisés. C’est dire si cet homme est un dirigeant singulier au sein de la classe politique espagnole. Anticonformiste, il a été critiqué pour ses dernières actions, y compris dans les rangs de la coalition de gauche Izquierda Unida [l’équivalent du Front de gauche français], dont son organisation, le Collectif uni des travailleurs-Bloc andalou de gauche, fait partie depuis 1986.Sánchez Gordillo est un dirigeant historique du Syndicat des ouvriers agricoles (SOC), colonne vertébrale de l’actuel SAT. En outre, depuis 1979, il est maire de Marinaleda, une petite localité [de près de 3 000 habitants] de la région de Séville. Là, grâce à la participation et au soutien des habitants, il a lancé une expérience politique et économique originale qui a fait de ce village une sorte d’île socialiste dans la campagne andalouse.Avec la crise économique, Marinaleda a eu l’occasion de vérifier si son utopie sur 25 kilomètres carrés était une solution viable face au marché. Son taux de chômage actuel est de 0 %. Une bonne partie des habitants sont employés par la Coopérative Humar-Marinaleda, créée par les ouvriers agricoles eux-mêmes après des années de lutte. Longtemps, les paysans ont occupé les terres de l’exploitation agricole Humoso [qui appartenaient à un aristocrate] et à chaque fois ils étaient dispersés par la Guardia Civil [la gendarmerie espagnole]. “La terre est à ceux qui la travaillent”, clamaient-ils. En 1992, ils ont fini par obtenir gain de cause : ils sont désormais propriétaires de l’exploitation. Sur leur site web, ils précisent que leur “objectif n’est pas de faire des bénéfices, mais de créer des emplois par la vente de produits agricoles sains et de qualité”.Ils produisent des fèves, des artichauts, des poivrons et de l’huile d’olive vierge extra. Les travailleurs eux-mêmes contrôlent toutes les phases de la production, la terre appartient à “l’ensemble de la collectivité”. L’exploitation comprend une conserverie, un moulin à huile, des serres, des équipements d’élevage, un magasin. Quel que soit leur poste, les travailleurs reçoivent tous un salaire de 47 euros la journée et travaillent 6 jours par semaine, soit 1 128 euros par mois pour 35 heures par semaine [le salaire minimum est de 641 euros].
En pleine saison, la coopérative emploie environ 400 personnes, une centaine au minimum. Mais chaque poste de travail n’est pas attribué à tel ou tel habitant : ils effectuent une rotation afin de s’assurer tous un revenu. “Travailler moins pour que tous aient du travail”, tel est le principe. Par ailleurs, certaines personnes travaillent de petites parcelles dont elles sont propriétaires. Le reste de la vie économique est constitué par des boutiques, des services de base et des activités sportives. Pratiquement, tous les habitants du village touchent autant qu’un travailleur de la coopérative.
Dans un entretien accordé à Público le mois dernier, Gordillo lui-même expliquait les répercussions de la crise à Marinaleda : “Elle se fait un peu sentir dans les prix des produits agricoles, dans le financement. Nous avons des problèmes de trésorerie, mais nous vendons bien les produits… D’une façon générale, la crise a été moins sensible dans l’agriculture et l’alimentation, souligne-t-il. Ce qui se passe, c’est que les gens qui avaient quitté la campagne pour travailler dans le bâtiment reviennent et cherchent du travail. Résultat, il faut non seulement maintenir l’emploi existant, mais l’augmenter, tout en sachant que l’agriculture bio crée plus d’emplois que l’agriculture traditionnelle. Pour sauver l’agriculture de la crise et de l’enchérissement des moyens de production agricole, nous essayons un commerce horizontal, avec un dialogue de coopérative à coopérative, et nous établissons des relations avec d’autres pays où il existe des expériences de ce type.”
Pendant les dernières décennies, dans une Espagne en proie au “boom de l’immobilier”, la spéculation s’est emparée du bâtiment. Marinaleda a décidé d’aller résolument à contre-courant. Il est possible d’y louer une maison en bon état, de 90 mètres carrés, avec terrasse, pour 15 euros par mois. Seule condition : chacun doit participer à la construction de son logement, suivant la philosophie horizontale qui préside à toutes les activités de Marinaleda. La municipalité a obtenu des lotissements en alternant achats et expropriations. Ainsi, elle propose des terrains et fournit le matériel nécessaire à la construction du logement. Celle-ci est confiée aux locataires eux-mêmes, à moins que ces derniers ne rémunèrent des gens pour les remplacer. Par ailleurs, la mairie emploie des maçons professionnels pour qu’ils conseillent les habitants et réalisent les travaux les plus compliqués. Dernier point, les futurs locataires ne savent pas d’avance quel logement va leur être attribué, ce qui favorise l’entraide.
“Quand on travaille à construire une maison, on est payé 800 euros par mois”, note Juan José Sancho, un habitant de Marinaleda. “La moitié du salaire sert à payer le logement.” Du haut de ses 21 ans, ce jeune homme fait déjà partie du “groupe d’action” de la municipalité, lequel a pour mission, via l’assemblée, de gérer les affaires courantes de la municipalité. Selon lui, “cette mesure a été prise pour qu’on ne puisse pas spéculer sur l’immobilier”.Autrefois, une grande partie des ouvriers agricoles savaient à peine écrire. Ils disposent aujourd’hui d’une maternelle, d’une école primaire et d’un collège-lycée qui va jusqu’à la classe de seconde. La cantine ne coûte que 15 euros par mois. Toutefois, au dire de Sancho, “le taux d’échec scolaire est un peu élevé. Les gens ont un logement et un travail assurés, si bien que beaucoup ne voient pas l’intérêt de faire des études. C’est l’un des points que nous devons améliorer.”L’engagement citoyen et la conscience politique des habitants de Marinaleda dépassent ceux de n’importe quel autre village de la région. “C’est aussi quelque chose de très présent parmi les jeunes, assure Sancho. Ici, tous les jeunes ont des idées politiques. Mais nous ne sommes tout de même pas aussi engagés que nos parents en leur temps. Eux, ils ont tout donné pour conquérir ce que nous avons.”A Marinaleda, il n’y a pas de police, et les décisions politiques sont prises par une assemblée à laquelle tous les habitants sont appelés à participer. Quant au “groupe d’action”, il “traite toutes les questions urgentes, au jour le jour, explique Sancho. Ce n’est pas un groupe d’élus, ce sont des gens qui décident ensemble de la répartition des tâches qu’il faut mener à bien dans l’intérêt du village”. En ce qui concerne les impôts, “ils sont très bas, ce sont les plus bas de toute la région”, à en croire Sancho. Les budgets sont décidés lors des réunions plénières de l’assemblée, au cours desquelles sont approuvés les différents postes. Ensuite, on procède quartier par quartier, car chacun d’entre eux comprend sa propre assemblée d’habitants, et c’est à cet échelon qu’on décide à quoi va être investi chaque euro du poste défini par la mairie.
Source: Courrier InternationalA voir et écouter: Wikipédia - Là-bas si j’y suis – Site de Marinaleda