Les autorités sont promptes à appliquer les décisions de justice en période de grand froid l Elles ne tiennent aucunement compte des souffrances terribles que cela engendre sur les familles.
Le froid qui s’est abattu sur Alger n’a pas fait suspendre les décisions d’expulsion. Des familles sont jetées sans ménagement à la rue. «Des familles se retrouvent sans ressources à la rue. Une femme est actuellement sous une tente avec ses trois filles à Bordj El Kiffan», signale Salmi Hakim, président du comité SOS expulsion, hébergé par la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). Le comité a reçu des centaines de dossiers de familles expulsées à travers le pays, et Alger occuperait la tête du classement : sur les 800 dossiers, plus de la moitié concerne des familles vivant dans la capitale.
«Nous savons que ces chiffres ne reflètent pas la réalité. Des familles sont expulsées à tour de bras. J’ai reçu avant l’Aïd un vieil homme qui pleurait à chaudes larmes. Il sue sang et eau pour payer son loyer. Il craint de se retrouver à la rue, lui et sa famille, quand il ne pourra plus payer le propriétaire. Il faut imaginer la souffrance de ces familles. Ces gens n’ont pas construit de baraques et ne mettent pas le couteau sous la gorge au responsable du coin. Sans possibilité de louer ou de se faire héberger par des proches, ils se retrouvent sous des tentes ou louent, pour certains, des baraques dans des bidonvilles», relève, d’une voix enrouée, Salmi, lui-même victime de cette situation.
Occupant depuis 1962 le rez-de-chaussée d’une maison au n° 5, rue Mohamed Alilat, dans la commune de Kouba, Amine Mounir, trentenaire, s’est retrouvé dehors. Sans toit. Les autorités se sont empressées d’appliquer la décision de justice, sans tenir compte de la situation sociale de la famille ni de l’état de sa mère, alitée. «La justice a appliqué la décision sans tenir compte de notre situation. Ma mère est septuagénaire et ne peut donc pas être expulsée suivant un décret (voir encadré). Le ministère de la Justice refuse toujours d’ouvrir une enquête sur notre situation, malgré les courriers envoyés», se désole Mounir qui affirme que la wilaya déléguée d’Hussein-Dey «occupe la première place en matière de prononciation de décisions d’expulsion». Expulsé de la maison qu’il occupe avec sa mère grabataire, Mounir parle du traumatisme causé par une telle expérience : «on est traumatisés à jamais quand on subit un tel affront. Etre expulsé de chez soi après plusieurs années passées sous un toit laisse des séquelles, surtout avec une mère souffrante.»
Y a-t-il une stratégie pour éviter la souffrance aux familles, surtout durant la période hivernale ? «Non», répond catégorique le président du comité SOS expulsion, dont le bureau est situé une rue plus loin que le siège de la wilaya d’Alger. «La trêve hivernale n’est prévue dans aucun texte de loi. Et même si ce texte existe, ni moi ni aucun juriste, même chevronné, nous n’en avons connaissance», relève le président de SOS expulsion, interrogé par la rapporteuse onusienne sur le droit au logement venue enquêter en Algérie en 2011.
Des exceptions à la règle sont signalées par le comité.
«La wilaya aurait fait des listes et aurait arrêté les opérations (télex du wali d’Alger, 25 janvier 2010). Je n’ai aucune preuve. Les opérations ont été reportées durant les dernières législatives, ou lors de la visite de la rapporteuse onusienne sur le logement. Cette situation se répétera durant la campagne des prochaines élections locales», relève M. Salmi. Le comité réclame des mesures durables. «Nous ne sommes pas contre l’application de la loi. Les propriétaires ont le droit de récupérer leurs biens. Mais les autorités doivent donner la priorité dans la distribution des logements aux expulsés. Elles auraient pu renforcer le parc locatif, ou bien même obliger l’occupation du million de logements vacants. L’Etat a ratifié des textes sur le droit au logement, il n’a qu’à s’y conformer en mettant en place un parc ou des quotas qui soient réservés aux expulsés dans chaque programme», estime le président du comité, sans trop d’illusions.
In El Watan