À perdre la raison est un film réalisé par Joachim Lafosse. Durée : 1h 51.
Ce film commence par la fin : une scène terrible dans laquelle une femme est sur un lit d’hôpital. Elle demande à son mari d’enterrer leurs enfants au Maroc. Ensuite, on reprend tout à zéro. La tension baisse d’un coup et s’ensuit alors une série de scènes où le même couple nage en plein bonheur. Mounir (joué par Tahar Rahim) demande à Murielle (jouée par Emilie Dequenne) de devenir sa femme. Elle dit oui. Jusque là tout va bien.
Le couple formé par Mounir et Murielle au début du film.
Vient ensuite l’élément perturbateur qui donnera naissance à toute l’intrigue, la complexité et l’originalité de ce film. Il s’agit du rapport ambigu qu’entretient Mounir avec André (joué par Niels Arestrup). André est médecin et a un train de vie confortable. Il en a fait profiter Mounir en lui permettant de quitter le Maroc et de s’installer en France. Il a aussi accepté de se marier avec sa sœur pour qu’elle puisse régulariser sa situation en France. Depuis, Mounir et André ne se quittent plus. Ils vivent ensemble, ils partagent tout, même la famille. Mounir n’est pas ingrat, il voue à son protecteur une fidélité et une reconnaissance sans faille. Le jour où il se marie avec Murielle, c’est tout naturellement qu’ils emménagent ensemble, tous les trois.
Le duo réussi du film « Le prophète » (Niels Arestrup et Tahar Rahim). On reprend les mêmes et on recommence.
Murielle se rend vite compte de l’absurdité de la situation. Elle étouffe de plus en plus et ressens le besoin de normalité et d’intimité familiale. Elle en fait part à son mari qui ne se sent pas de « trahir » André et de le laisser tomber.
Des naissances à répétition n’arrangent pas les choses et transforment peu à peu leur vie. Là encore, André trouve le moyen de se rendre indispensable. La situation s’enlise. Murielle s‘enfonce et s’efface. Au début joyeuse et légère, elle dépérit de jour en jour jusqu’à atteindre le point de non retour en commettant l’irréparable.
Adaptation d’un fait divers, ce film mise tout sur le réalisme. La caméra est proche des acteurs et donne parfois la sensation au spectateur d’être voyeur. Niels Arestrup joue un personnage complexe dont la perversité n’a d’égal que la générosité. Emilie Dequenne est époustouflante de fragilité et de justesse (prix d’interprétation féminine à un Certain Regard en 2012). On vit les évènements à travers son personnage, on ressent son malaise et on la suit dans sa décente aux enfers. Elle commet l’irréparable et l’on se surprend à essayer de justifier son crime absolument atroce.
C’est l’un de ces films qui restent longtemps en mémoire, qui nous poussent à remettre en question notre sens de la morale à travers la présentation de personnages « composites », évitant la trop simple dualité : le bien et le mal.