« J'étais la nuit
juste une sensation de froid dans mon ventre
je veux absolument finir ces lignes »
Sur un coup de tête, Max a mis son appart sur le trottoir, noyé son réseau social dans la Seine avant de partir en vacances d'été à Gargilesse, dans la maison de son oncle, seul, pendant un mois.
Anorexique (ou égoïste) verbal1, il fuit l'anorexie mentale, neuronale et culturelle dans laquelle il évoluait – Ana.
1 : « – Comment t’arrives à tenir sans rien foutre autant de temps ?
– …
– Comment t’arrives à ne jamais regarder les gens ?
– …
– Tu ne réponds à personne et ça marche. Chacun se croit face à lui-même, et il comprend ce qu’il veut. C’est malin (dixit un membre de la clique)
La vie au moment où il écrit :
De prime abord, on dirait le journal intime d'une crise d'ado torturé - une crise d'ado mannequin rasta rebelle ex-fils de ministre, ou plutôt fils d'un ex-ministre – un pamphlet à l'encontre de parents absents. Ou un début d'autobiographie, du genre « Doublure de rejeton, j'ai dû apprendre à vivre en observant la vie des autres, en silence, d'autres parents, une autre enfance. Victime de ma plastique devenue parfaite je devins vitrine sans tache, éclairée par les flashes. Je n'avais plus à parler. Stop. Je m'étais laissé observer trop longtemps.
On inverse les valeurs."
En fait, de Gargilesse2, Max tire des portraits par écrit. Ses parents3, la Clique4, les figures locales, les us et coutumes berrichons. Et tisse une toile, une galerie désordonnée de peintures sociales et culturelles d'un été entre amis - de l'éternité d'une nuit, d'âmes simples à l'accent replié sur lui-même - que l'oncle Raphaël expose de l'autre côté de l'océan.
Pendant que Max se passionne, Ana menace – huissier - et le père propose - avocats...
Début du tête à tête entre le téléphone et le répondeur, entre deux silences berrichons5.
2 : GARGILESSE, (Étym. inconnue). L’ennui y est la contrainte forte, la plaie d’heures béantes qui façonnent les moeurs à coups de dizaines de soirées mornes - contraction de mortes et d’atones, un mot joliment trouvé par Lutz
Le Bas-Berry est un amas de vies humbles ponctuées par les saisons, par la nature, et avec jamais rien de projeté ; ici chaque aléa est subi de toute éternité comme les animaux subissent, sans révolte. Ici notre détermination à faire du surplace, à rester les gardiens évaporés d’on ne savait trop quoi de pluvieux. De pluvieux et vide…
3 : Mes vieux [V. 1+– 199*] ; de vieillir ; mort. Anomalies du règne animal ; ornithorynques)
4 :« Lutz, la langue de vipère de la clique. Daguet [V. 1993] ; jeune cerf qui pousse son premier bois. Dague. Doux dingue gargilessois au corps immense, Axelle : treize ans de culot monstre, source d’ennuis déjà l’année précédente ». Martial, le cuisto caravane, son alter « Pauvre Conard », Fatiha et Pradeau le vieux - « couple d'animaux complémentaire, affaire structurante », et Sophie, bien sûr, le perfecto..
5 :On les dirait coffres à secrets sous une eau marron, armes rouillées… Des épaisseurs invisibles dans une chape de calme issue de siècles d’isolement, ou de manque à vivre remâché par des dizaines de générations.
Pour contrer l'inertie cannabinacée (à moins que ce ne soit l'Angèle qui (r)éveille quelque chose en lui, l'Ange-elle qui titille son côté sombre, qui caresse cette tache invisible de son regard obscène, qui l'étreint par sa laideur, qui l'entraîne vers son passé si douteux, ses tournées d'amants, Angèle la Birette), Max organise avec Martial Le Concours : une foire au boudin pittoresque avec critères de qualité, AOC et AOP, règlement et conditions d'attribution des points. La fiche.. visage corps études fringues, seins, tout(es) y passe(nt)..
Croquer du boudin ça évite de ronger son frein, de ne pas rester seul avec ses questions, jusqu'à l'arrivée de Tokio Hotel/Isabelle : « Sacralisation de la douleur, résistance silencieuse, avilissement consenti, il était question de victimes qui, paradoxalement, s'élèvent en acceptant leur statut, l'injustice du patrimoine génétique, autiste (?), quelque chose qu'elle n'arrive pas à discerner …« Et il y avait certainement quelque chose de contagieux dans cette huileuse mécanique d’intimité qu’elle installait. ».Alors on plonge..
Frénésie oculaire ● pages en transe●êtres bestiaux rauques brutaux ● décompte – dix pas ● atterrissage couverture et décollage vers l'inconscience ● s'adonner à ce que la situation attendait ● assumer ●paroxysme dégueulasse de glaires et de pensées entre les lignes ● celle des regards ou des livres ● Angèle en écho somatique ● visions spasmodiques – rut initiatique.
Torpeur, repli, instants Hopper, Max déambule d'un crépuscule à l'autre, entre sorcellerie ésotérique et folklore régional, vaguement guidé par le professeur Constant
Mais Le Grand Meaulnes en a assez de patauger dans La mare au Diable, de badiner avec la laideur à l'ombre des boudins en pleurs, alors il force la chronologie.
Le récit s'accélère, épidermique, 1er, 2nd sabbat, avant, après, suite ou fin du concours, délire photographique (flash-back), les éléments s'assemblent, se disloquent, se ré-agencent et dévoilent une scène (La Cène?) de plus en plus précise.
Le répondeur égrène ses messages comme un chapelet, une litanie..
Les branches resserrent leur étreinte, capturent le moindre atome de lumière, s'emparent des chairs et ramènent à la surface les souvenirs mort-vivants d'une mémoire tachée de naissance.
Le temps se précipite, l'eau si calme de la Creuse sort de son lit, les âmes si repliées se mettent à danser une ronde insensée, les corps hirsutes se mettent à nu, le Sabbat est en marche.
Max a beau appuyer sur la touche stop, le répondeur étouffe de messages, rien n'arrête l'engrenage, le temps se rétracte, focalise, et condamne l'innocence..
Le Sabbat inverse les valeurs,
depuis la nuit des temps,
depuis sa nuit d'été..