La réflexion d'Obama est dans la droite ligne du courant de pensée néo-socialiste qui, sans nier l’importance de l’entreprise privée estime que l'action de l’État lui est supérieure.
Par Vincent Bénard.
Public contre privé, quel est le vrai débat ?
La réflexion du président US est dans la droite ligne du courant de pensée néo-socialiste qui, sans nier l’importance de l’entreprise privée, contrairement aux socialismes "durs" d'avant guerre, estime que l’État lui est d’essence supérieure. Ce même courant de pensée refuse que l’État soit “géré comme une entreprise”, puisque, alors que le déficit privé conduit à la mort certaine, le déficit public aurait des vertus économiques qui permettraient de "relancer" l’économie en crise.
Y aurait-il une préséance de l’économie étatique sur l’économie privée ? Cela place-t-il l’État en dehors des "lois de la gravité" qui régissent l’économie privée ?
Pour répondre à cette question, évacuons temporairement la nature privée et publique des entreprises et de l’État, et considérons les comme des boites noires comptables, avec un revenu brut (Chiffre d’affaires ou recettes fiscales), des achats extérieurs, et un résultat net de fin d’exercice.
De la création de valeur : valeur pour les clients
Une entreprise crée de la valeur ajoutée pour ses clients, sans quoi elle n’aurait aucune raison d’exister. La valeur ajoutée brute de l’entreprise est égale à ses revenus moins ses achats.
De même, n’en déplaise aux plus anti-étatistes de mes lecteurs, l’État crée de la valeur ajoutée brute, quand bien même on peut trouver qu’il n’en crée pas assez : un voleur arrêté, ou un enfant qui sait lire, sont des preuves de l’existence de valeurs ajoutées brutes par l’État. Et le fait est que pour l’instant, les contribuables ne se révoltent guère, ce qui veut dire qu’ils acceptent de plus ou moins bonne grâce de payer le prix demandé par l’État (au sens large, avec les collectivités) pour cette valeur ajoutée "brute".
Bref, l’État bénéficie de la valeur ajoutée brute créée par les entreprises exactement au même titre que les entreprises bénéficient de la valeur ajoutée brute créée par l’État, ou de celle créée par d’autres entreprises. De ce point de vue, l’État est un apporteur de service comme un autre, qui s’insère au sein d’un système de coopération où chaque rouage contribue à la production de valeur générale. Et il est impossible de prouver que la production de l’État ait plus d’importance pour la population que celle du secteur privé, que l’école soit plus importante que l’alimentation ou l’automobile.
Alors, l’État, une entreprise comme une autre ? Si seulement...
De la création de valeur : fixation de capital pour soi-même
La grande différence entre l’État US (ou français) d’un côté, et Dell, IBM, et n’importe quelle autre entreprise, est que ces dernières non seulement créent de la valeur pour leurs clients, ce qui est leur raison d’être, mais créent aussi, sur la durée, de la valeur pour elles-mêmes, ce qui est la raison pour laquelle elles survivent. Leurs passages à vides (années déficitaires) sont l’exception, les bénéfices sont la règle. Celles qui détruisent trop de valeur meurent et sont remplacées par d’autres, plus performantes, car offrant plus de valeur "brute" pour moins de consommation de ressources.
Ce que Marx appelait le "profit", en donnant à ce terme une connotation péjorative, est simplement la preuve que l’ensemble des ressources que l’entreprise a consommées pour satisfaire ses clients (achats, salaires, érosion du capital, rémunération des créanciers, et "taxes", correspondant à ses "achats" à l’État, fournisseur un peu particulier) vaut moins que la valeur estimée de ses services par ces mêmes clients. Ce profit est la valeur ajoutée "ultime" de l’entreprise. Une partie va rémunérer les actionnaires (dividendes), l’autre sera conservée dans l’entreprise, constituant ses réserves.
Comptablement, cela se traduit par une accumulation de fonds propres par les entreprises qui survivent et grandissent, qui compense largement la destruction de capital qui se produit chez les entreprises peu performantes... Prenez n’importe quelle entreprise vivante, ses fonds propres, parfois accumulés sur des dizaines d’années, sont positifs, signe qu’elle a pu créer de la valeur pour ses clients ET pour elle même. Un exemple : si vous additionnez les fonds propres des entreprises du Cac40, vous obtenez un total d’environ 800 Milliards d’Euros.
L’État, destructeur net de valeur
Or, l’État français, lui, selon les documents officiels publiés par le ministère des finances, vient d’accumuler 39 exercices déficitaires (depuis 1974), et encore, la comptabilité de l’État n’est pas aussi sévère que celle d’une entreprise privée, puisque le "déficit" annoncé chaque année ne comprend pas les amortissements de son capital, ce qui explique d’ailleurs la décrépitude des conditions de travail de nombreuses administrations.
Pour comprendre à quel point l’État détruit plus de valeur qu’il n’en crée pour ses "clients", il suffit de regarder son bilan, que le ministère des finances s’est décidé à publier depuis le milieu des années 2000 : en 2010, le bilan de l’État fait apparaître des fonds propres NÉGATIFS de 756 milliards d’Euros. Autrement dit, l’État Français a détruit a lui seul à peu près autant de richesses que les entreprises du Cac40 n’en ont créées.
L’étude des déficits de l’État fédéral américain, et l’état de décrépitude des équipements publics de nombres d’État fédérés, laisse penser que les institutions publiques américaines n’échappent pas à la même critique. Et les hyper-États de l’époque communiste ont largement confirmé empiriquement cette propension des États à détruire leur capital, et par voie de conséquence leur qualité de service.
Telle est la grande différence entre un État et une entreprise :
- L’entreprise crée de la valeur (brute) pour ses clients et consomme moins de ressources, elle est donc CRÉATRICE NETTE de valeur.
- L’État déficitaire crée aussi de la valeur (brute) pour ses clients, mais consomme plus de ressources, il est donc DESTRUCTEUR NET de valeur.
La plupart des États contemporains détruisent de la valeur, seule leur force coercitive leur permet de prélever l’impôt et de ne pas déposer le bilan, comme le ferait n’importe quelle entreprise dans la même situation comptable.
Conséquences économiques d’un État fortement destructeur de valeur
L’État est donc comparable à une entreprise mal gérée qui subirait un sauvetage permanent, par l'impôt et l'endettement. Cela ne vous rappelle rien ? Ah oui, les grandes banques... De même que le sauvetage de ces dernières est fort justement critiqué parce qu’il récompense les mauvaises entreprises destructrices de valeur au détriment des bonnes, ralentissant de ce fait la création de valeur nette par les agents économiques vertueux, le bailout permanent de l’État par le contribuable récompense un agent économique qui détruit de la valeur nette au détriment de ceux qui en créent. L’État ? C'est la destruction de valeur du Crédit Lyonnais plus Dexia... Multipliés par 100 !
Et voilà pourquoi de nombreuses études récentes ou anciennes (comme celle-ci, portant sur la période 1961-1998, citée sur mon blog en 2004) montrent une assez forte corrélation négative entre le poids de l’État dans une économie de l’OCDE et la croissance du PIB : prendre l’argent aux meilleurs pour le donner aux nuls rend plus difficile la création de valeur nette...
Conséquences sociales
Pire encore, la notion de "valeur ajoutée" brute, dans le cas de l’État, est de plus en plus évanescente. Car avouez-le, sans la peur du percepteur, vous ne payeriez pas de votre plein gré pour des services aussi médiocres. L’État, qui tient ses clients captifs et qui n’est pas sanctionné économiquement pour sa destruction de valeur, n’est pas "naturellement" incité à améliorer ses prestations. Et comme en France, il n’y a pas d’aiguillon politique fort capable de remplacer la pression du résultat économique, l’État ne compte que sur la conscience professionnelle de ses meilleurs agents et dirigeants pour progresser : cela est hélas très insuffisant.
Pire, la qualité de service se dégrade alors que son prix augmente. Ainsi, entre 1973 et 2010, l’État a fait passer sa dépense de 36% à 56% du PIB . Entre-temps, l'illettrisme a progressé, le classement des écoles et des universités françaises dans les comparaisons internationales tombe année après année, l’équipement de nos hôpitaux ne soutient plus la comparaison avec la moyenne de l’OCDE (souce: OCDE), le nombre de victimes officiellement recensées d’actes de violence a été multiplié par 4 (source Insee), sans parler de ceux qui n’osent plus porter plainte, et le chômage, dont l’État était censé s’occuper pour notre bien, a été multiplié par 15. Liste hélas très loin d’être exhaustive.
Conclusion : la privatisation des services de l’État, une nécessité
Barack Obama se trompe : les services de l’État n’ont rien de magique par rapport à ceux des entreprises, ils ne créent pas plus de valeur a priori, mais leur expansion tend à rendre plus difficile l’activité des entreprises privées concurrentielles, du moins celles qui agissent sans bénéficier du copinage public. Voilà pourquoi il convient de privatiser la plupart [1] des structures supposées apporter un "service", c’est-à-dire une valeur brute, aux contribuables.
En France, ces privatisations pourraient concerner les écoles, l’assurance maladie, les prestataires de santé, les transports urbains et ferroviaires, l’agence France-Trésor, les banques publiques d’investissement, les ports, aéroports, réseaux routiers longue et moyenne distance, les musées, etc. Rien ne s’oppose techniquement à leur privatisation, seuls des préjugés idéologiques et l’intérêt matériel bien compris de ceux qui vivent très bien de leur inefficacité œuvrent en faveur du statu quo.
Cette privatisation, sous réserve qu’elle crée une véritable mise en concurrence des offreurs de service (et non une "fausse privatisation" comme celle de l’eau, par exemple, qui n’a fait que distribuer des prébendes à des monopoles privés complices de l’État et des villes) forcera nombre de structures ex-publiques à redevenir créatrices nettes de valeur ou à être remplacées par d’autres. Ainsi, nous bénéficierons de beaucoup plus de valeur offerte pour beaucoup moins cher payé !
En résumé:
- L’État n’est qu’un offreur de services parmi d’autres, juste un peu plus gros que les autres pour des raisons historiques.
- Les services de l’État n’ont rien de magique. Ils ont une valeur et un prix de revient, comme ceux des entreprises privées.
- Les entreprises privées arrivent à vendre leurs services en fixant du capital : ce mode de création de valeur est soutenable.
- L’entreprise "État" détruit plus de valeur qu’elle n’en crée de façon continue : ce mode de création de valeur n’est pas soutenable.
- Le comblement du gouffre financier de l’État par l’emprunt ou l’impôt n’est économiquement pas supérieur au sauvetage d’une banque mal gérée par le contribuable. Ce sont deux actions économiquement tout à fait similaires et nuisibles.
- Ceux qui affirment que le déficit public est économiquement producteur de richesses sont soit des incompétents, soit des escrocs intellectuels.
- La privatisation des services actuellement rendus par l’État ne peut qu’augmenter leur valeur perçue, tout en en diminuant leur prix de revient.
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Sur le web
Lire également :
- Gérer l’État comme une entreprise, une révolution urgente
- L’État, un gigantesque destructeur de richesses
- (PDF) Bilan de l’État français fin 2010, source : ministère des finances
Note :
- Hors du champ de cet article, la bataille fait rage entre libéraux classiques et anarcho-libéraux pour savoir si les services comme l’armée et la police peuvent être intégralement privatisés. Ma réponse (détaillée ici) est non, même si des pans de ces activités peuvent être sous-traités au privé. En deux mots : les outils du marché ont été conçus pour remplacer avantageusement la prédation par l’échange, mais de ce fait ne sont pas à mon sens de bons régulateurs de ceux qui continuent de préférer la prédation. ↩