Au-delà du cercle arctique, un voyage en Scandinavie que chaque homme épris de nature devrait entreprendre.
Par René Le Honzec.
"C’est un voyage que chaque homme épris de nature devrait entreprendre, un voyage qui serait le reflet d’une démarche intérieure, un moment où le reflet serait plus réel que l’image du monde telle qu’on veut qu’elle soit, et telle qu’on veut la voir."
À l’opposé du marketing violemment coloré et politiquement correct d’un Yann-Artus Bertrand adepte de voilures volantes bruyantes et polluantes, Jean-Claude Meslé, le photographe, appartient au genre peu commun de l’homme se levant avant le jour, allant à l’envers du temps et de ses tentations, à la manière du loup-garou. Il peut attendre des heures et des jours dans son affût par moins de 20°C. Avec une rigueur, une opiniâtreté et une patience hors pair, il ne cesse de jouir de ce monde bruissant et improbable.
Ses photographies sont cadrées à la prise de vue, sans trucage, sans Photoshop. Il nous donne quelques 200 images pour dire la poésie nue en des terres ingrates, nous faisant découvrir des paysages qui nous laissent estomaqués et nostalgiques d’un ailleurs hyperboréen. Double-page pour se laisser dominer par des géants de pierres et de neige, des fouillis d’oiseaux dont on entend le bruissement des ailes assourdissant, la glace qui s’étire, se déchire sur la roche, crisse et crie littéralement. Côtoyant ces masses, le pouillot fitis, pas plus gros qu’une mésange, un géant qui revient du Sahel pour entonner son refrain d’été, saisi au sommet d’un saule nain nous rappelle que l‘auteur considère qu’il est plus difficile de photographier un loriot en haut d’un arbre que le lion dans la savane.
En résonance avec ces images d’une étonnante expression, le texte de Bernard Rio, à l’unisson de cette élégance, moucheté d’ironie, décile notre regard sur les mystères du Septentrion, nous initie à une forme de pensée sauvage nourrie d’une érudition subtile, qui nous fait réviser des classiques marginaux et pourtant essentiels pour changer les coordonnées de notre intelligence du monde. Ainsi saurez-vous le rapport entre le grèbe esclavon et l’origine du mot « esclave », entre les quatorze lieder posthumes de Schubert et le chant du cygne, entre le soleil et le poète Thord Kolbeinsson du Xème siècle.
La pensée sauvage exige cette liberté de l’individu, son insoumission au genre, elle impose de chercher et de connaître par soi-même. N’est-ce pas une allégorie de la pensée libérale à l’encontre d’une idéologie dominante que de chercher et trouver dans un livre papier des raisons de croire en la persistance du sens contre l’impression, du fond contre le fugitif, de l’authentique contre la mystification ?
- Jean-Claude Meslé, Bernard Rio, Au-delà du cercle arctique, voyage en Scandinavie, Rando Éditions, 242 pages, septembre 2012.