Interview du twitteur Hour Baki accordée à Mounir Bensalah l'occasion de la sortie de son livre (Mounir Bensalah)
intitulé Réseaux
sociaux et révolutions.
@mounirbensalah: Bio et e-parcours:
@7our: De formation scientifique, je porte un intérêt particulier à la politique internationale. Précisons tout de suite que cela n’a aucun lien avec le métier que j’exerce. Je suis d’une génération qui fait le rêve d’un autre avenir pour les peuples du monde arabe, un avenir où les valeurs de respect et de tolérance prendront le dessus sur le nationalisme exacerbé et le radicalisme totalitaire.
Je suis arrivé sur les réseaux sociaux assez tardivement. Mes premiers pas, mes premières frappes sur le clavier sur Twitter ont d’ailleurs coïncidé avec l’attaque du bus de l’équipe d’Algérie de football au Caire en novembre 2009. Au visionnage des vidéos, il m’a semblé que les agresseurs n’étaient pas de simples voyous. Ils semblaient avoir été entraînés pour cette attaque, la force avec laquelle certains projectiles ont traversé l’habitacle du bus n’était pas normale. Vu l’importance politique que revêtait le football dans l’Egypte de Moubarak, ce débordement hors du cadre sportif était j’en suis convaincu organisé. Et depuis, on a d’ailleurs vu d’autres casseurs, d’autres Baltaguia participer à l’intimidation des manifestants égyptiens, comme force auxiliaire de la police ou de l’armée.
Et puis les évènements se sont enchaînés et se succèdent depuis. Les révolutions arabes se sont multipliées. En résumé, nous vivons une séquence historique qui se caractérise par le renversement de l’autorité, une séquence dont les effets se feront sentir sur plusieurs décennies. On ne sait pas encore combien de temps dureront les révoltes arabes, ni celles qui réussiront et celles qui vont échouer. Mais un mythe s’est envolé, l’image de « l’arabe résigné » est définitivement périmée. Soit de nouveaux systèmes politiques apaisés vont naître de ce pacte social avec les citoyens, soit des contre-révolutions vont parvenir à renverser provisoirement le cours de l’histoire au prix d’une instabilité chronique.
Au début je ne parlais pas de la politique algérienne sur Twitter. Il n’y avait plus beaucoup d’illusions sur ce régime, juste un espoir secret de voir des dirigeants éclairés remettre le pays sur de bons rails. Sauf que la déliquescence était une histoire sans fin. La sonnette d’alarme a encore retentie en janvier 2011 par des émeutes généralisées. L’Algérie est un pays au fonctionnement étrange. Ces émeutes étaient annoncées dans le Journal Officiel à l’avance pour qui savait lire et réfléchir. Elles ont été déclenchées suite à des décisions prises au sommet de l’Etat algérien. Dans la Loi de Finances 2011, proposée par le gouvernement d’Ouyahia, et votée par l’assemblée nationale , il avait été institué de nouvelles taxes sur des produits alimentaires de base comme l’huile et le sucre. Hallucinant ! Des députés issus d’une large fraude électorale, des ministres incompétents et dépourvus de bon sens, un président tenant de l’immobilisme dogmatique, des institutions n’ayant ni vision ni stratégie, tous coupés de la réalité du pays profond qu’ils méprisent. Ils ont eux mêmes mis le feu à la rue pour ensuite accuser la main de l’étranger.
@mounirbensalah: A première vue, l’Algérie semble être épargnée des mouvements de contestation, à quelques exceptions près, qu’a connu le monde arabe. Approuvez-vous ce constat?
@7our: L’Algérie est épargnée par un mouvement structuré de révolte politique mais elle n’est pas épargnée par divers mouvements de contestation. C’est même un pays en ébullition, pas un jour sans une émeute, un blocage de route ou une manifestation de grévistes. Les revendications sont essentiellement « matérielles », demandes de logements, hausses de salaires, régularisation de carrières, avantages dans le commerce informel,… Les protestataires demandent des avantages particuliers, ou tout simplement leur part de la manne pétrolière, et insistent très souvent pour dire que leur démarche est apolitique. Face à ces demandes citoyennes, syndicales, corporatistes… le message implicite du régime algérien est que dans le rapport de forces – plus ou moins violent – qui les oppose « tout est négociable sauf le domaine politique ». Par contraste, des tentatives d’expression politique sur le terrain se sont vite trouvées confrontées à des forces de sécurité sur-dimensionnées et déterminées. Face à des militants pacifistes qui n’exigent que des droits reconnus comme universels comme la liberté de manifester, le système répond par une criminalisation de faits mineurs et soumet ces activistes à un harcèlement policier et judiciaire grandissant. D’où la difficulté de contester politiquement le régime algérien sur la scène publique.
Et puis, l’Algérie n’est pas comparable à la Tunisie de Ben Ali, l’Egypte de Moubarak ou la Syrie d’Assad. Les algériens vivent dans un système de semi-liberté et profitent d’une partie de la manne que redistribue l’Etat. Cela calme une partie des ardeurs et des velléités de changement, dans un pays qui reste encore traumatisé par les affrontements sanglants entre islamistes et militaires d’un passé récent.
@mounirbensalah: Les observateurs remarquent que les blogs ne se sont pas très développés en Algérie. Quelle est la raison à votre avis? Pareil, l’utilisation des réseaux sociaux ( facebook et twitter ) semble minime en Algérie en comparaison avec ses voisins marocains et tunisiens. Est-ce un problème de taux de pénétration d’internet en général, ou y a-t-il d’autres facteurs?
@7our: Il y a certes un moindre taux de pénétration et d’utilisation d’internet en Algérie par rapport aux pays voisins mais il y a aussi une pratique différente des réseaux sociaux. Ainsi, sur youtube, on trouvera une multitude de vidéos où des algériens s’expriment sur les sujets les plus divers, parfois avec maladresse et souvent avec beaucoup d’énergie. En d’autres termes, les supports audiovisuels recueillent plus les faveurs que les supports écrits. Cependant, la fréquentation de Facebook connait une croissance importante – probablement du fait de la facilité d’intégration de contenus audiovisuels – alors que Twitter reste un outil plus apprécié des lettrés. Sur un autre plan, la plupart des jeunes algériens sont arabophones. La blogosphère algérienne se développera-t-elle par un tropisme vers le reste du Monde Arabe? Je m’attends à ce que le changement vienne de par ces liens multiples tissés entre jeunes algériens et jeunes arabes.
@mounirbensalah: Comment pensez-vous que sera l’impact des blogs et réseaux sociaux sur les mouvements contestataires en Algérie dans les 2 années à venir?
@7our: L’extrapolation sur un usage plus intensif des réseaux sociaux est facile à prédire, particulièrement lorsque’il y aura une disponibilité d’internet sur les réseaux mobiles. Mais je dois reconnaître que dans le rapport de forces entre contestataires et tenants du pouvoir, ces derniers disposent de capacités matérielles et financières non négligeables. Le régime a observé ce qui s’est passé dans les autres pays, il a compris le danger que cela représentait pour lui et il a acquis des technologies de surveillance, de filtrage et de blocage d’internet. Il se fait conseiller par des cabinets de relations publiques. Il a ainsi compris la nécessité d’occuper les réseaux sociaux et de diffuser des schémas contrefaits de contestation. Les véritables contestataires sont ensuite stigmatisés comme étant des traîtres à la solde de l’OTAN, des agents sionistes, des aventuriers alléchés par la rente pétrolière, etc…nous en sommes arrivés au point où des agents du système se vantent dans les médias publics ou dans des meetings d’avoir fait éviter à l’Algérie les « dangers du printemps arabe ». Dans le psyché de certains algériens, le printemps arabe est maintenant synonyme de destructions, bombardements et souffrances. L’acharnement médiatique contre l’Algérie d’une chaîne TV comme Al Jazeera les pousse même à croire à une théorie du complot.
D’ici 2 ans, ce qui fera la différence, c’est notre intelligence collective. Y aura-t-il une prise de conscience chez les intellectuels algériens pour avoir une participation plus effective sur les réseaux sociaux ? Où sont les centaines de journalistes, d’écrivains, de hauts cadres, d’universitaires,… leur discrétion y est notable. Nous sommes encore loin d’avoir atteint une masse critique, digne d’une opinion publique qui veut peser sur le cours des évènements. En 2014, il y aura une présidentielle importante pour l’avenir de l’Algérie. Peut-être que cet évènement provoquera un afflux de nouveaux acteurs sur les blogs et les réseaux sociaux. Ou peut-être qu’il faudra attendre les années de vaches maigres, une chute des revenus des hydrocarbures, pour voir émerger une réaction de la société algérienne.
@mounirbensalah: Comment avez-vous vu l’impact de twitter, facebook et les blogs dans les dernières législatives?
@7our: Tout d’abord du côté des partis du système, c’est l’encéphalogramme plat. Le parti FLN brille ainsi par son absence des réseaux sociaux. Son compte Twitter à un taux de suivi confidentiel. Les internautes ne sont pas une partie active de son électorat. De même qu’une carte ne représente pas un territoire, cela ne dénote pas une absence totale de base populaire de ce parti. L’électeur moyen du FLN est en général une personne rurale âgée le jeune internaute lui étant plus un absentéiste plus ou moins désabusé du débat politique.
Qu’en est-il des autres partis? La seule personnalité politique ayant une présence sur internet est le ministre Ghoul (du parti islamiste MSP), sa page est suivie par plus de 30.000 internautes. C’est presque l’exception qui confirme la règle. Car dans les autres partis, on dénote l’absence de toute stratégie si ce n’est pas une crispation par rapport à l’horizontalité d’internet. Une anecdote parmi d’autres, le site internet du parti des travailleurs est resté figé pendant des années, sans aucune actualisation depuis la dernière présidentielle de 1999.
Du côté de la contestation démocratique, les activistes sont comme la majorité de la population, très sceptiques par rapport aux promesses de Bouteflika. ils n’avaient pas confiance dans les garanties de scrutin libre et transparent. La légalisation d’une multitude de partis champignons, issus d’organisations satellites du pouvoir, avait déjà été un signe suffisamment annonciateur. Il ne nous restait plus qu’à couvrir l’évènement et la fraude dans ses moindres détails à travers un hashtag caustique #10MaiToz. On a pris à témoin l’opinion publique mondiale à défaut de convaincre la communauté internationale de réagir, ne serait ce que par un froncement de sourcils. Cela a servi d’un test à blanc, en attendant la véritable échéance électorale qui est la présidentielle de 2014. Le parlement qui vient d’être élu étant devenue une chambre d’enregistrement sous le président Bouteflika.
@mounirbensalah: Comment estimez-vous l’apport des blogs et des réseaux sociaux ( militantisme numérique ) dans les mouvements sociaux et les révoltes que notre région a connu?
@7our: Le militantisme numérique ne se substitue pas au militantisme sur le terrain, il lui est complémentaire. Nous avons assisté à la naissance d’une opinion publique arabe virtuelle, ou en d’autres termes l’opinion publique mondiale a désormais une composante arabe virtuelle. Ce rassemblement de personnes de différents pays, différents parcours, qui décidèrent d’agir ensemble a été un contre-pouvoir, ou un anti-pouvoir, inédit aux régimes en place.
Les régimes politiques arabes font appel au passé pour asseoir ce que j’appelle leur légitimité intérieure défaillante. Ils obtiennent une obéissance civile relative en faisant appel à des valeurs historiques ou religieuses. Mais leur survie dépend surtout de la légitimité extérieure, construite sur la stabilité des échanges économiques et la préservation des intérêts des puissances mondiales. Les révolutionnaires ont ébranlé le mythe de la légitimité intérieure, et les activistes numériques ont fissuré la légitimité extérieure. Ce schéma a relativement bien fonctionné en Tunisie et en Egypte. La Libye est un scénario différent, Kadhafi ayant alimenté beaucoup d’inimitiés, particulièrement au sein de la Ligue Arabe et en Occident.
Qu’en est-il de la phase d’après? Après la révolte, je perçois un spleen chez le militant numérique. Comme pour le révolutionnaire blessé et oublié par les autorités de transition, le e-activiste a du mal à s’inscrire dans le nouveau cadre, surtout si ce n’était que la destruction de l’ancien régime qui donnait sens à son action. Et comme disait H Arendt « La violence peut détruire le pouvoir, elle est parfaitement incapable de le créer« . Les nouveaux temps appellent à un renouvellement du militantisme numérique. Il est parfois plus facile d’abattre un dictateur absolu que de faire reculer une multitude au comportement totalitaire. Et cette lutte est loin d’être finie.
NB: Mounir Bensalah est un ingénieur marocain de 33 ans, blogueur depuis 2004, il est membre de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH).