" De nombreux étudiants, qui appartenaient à la classe moyenne supérieure, théorisaient sur les classes laborieuses - moi, j'en venais. Ils étaient actifs
Je viens d'une société rurale, archaïque, repliée sur elle-même, et le chemin parcouru me laisse toujours songeur. Quand la guerre a éclaté, mon père avait huit ans, il a dû quitter l'école pour rejoindre son grand-père à la ferme, son père ayant été mobilisé. La fin de la guerre et l'instauration du régime franquiste ont sonné le glas des espoirs que la République avait donné aux petites gens - il n'était plus question pour eux de faire des études prolongées. On ne se rend pas compte de ce genre de choses quand on est jeune : on tient pour acquis que votre père est un paysan, et votre mère femme de ménage. Puis ils vous disent qu'ils auraient rêvé d'aller à l'université, d'être ingénieur ou avocat, et l'on comprend que cette possibilité leur a été fermée, que, pour des raisons sociales, politiques, historiques, cela leur a été interdit. Je me trouve à mon aise ici, à Paris, à discuter avec vous, mais il m'est difficile de ne pas garder à l'esprit la distance entre la vie que je mène aujourd'hui et celle que j'ai eue à la naissance...
Antonio Munoz Molina : extrait d'interview pour le magazine Books n° 31, avril 2012