Dans les semaines précédent la déclaration d'indépendance du Kosovo, l'Abkhazie s'est retrouvée, par ricochet, sur le devant de la scène. La Douma russe se disait prête à reconnaître l'indépendance de cette république séparatiste, tout comme seule du micro-Etat d'Ossétie du Sud. Réactions outrées de la Géorgie, qui s'est constituée depuis 2003 une armée professionnelle de 70.000 hommes et frappe avec insistance à la porte de l'OTAN, à quelques jours du sommet de Bucarest. (du 2 au 4 avril). Surenchère des dirigeants Abkhazes, qui préparent une demande officielle de reconnaissance à l'ONU.
Sous embargo depuis janvier 1996, l'Abkhazie a vu la Russie et la CEI lever le 6 mars les sanctions pesant sur son économie. A deux doigts de reconnaître l'indépendance du territoire suite à la déclaration d'indépendance du Kosovo le 17 février, la Russie s'est finalement contentée de ce geste économique. Dans une situation délicate, la Russie ne peut, après avoir défendu l'intégrité territoriale de la Serbie, reconnaître l'indépendance de l'Abkhazie.
On se dirige de fait vers une "Taïwanisation" de l'Abkhazie : tous les attributs d'un Etat indépendant, des relations diplomatiques officieuses avec la Russie, mais pas d'indépendance officiellement reconnue.
Selon Archil Gegeshidze, un expert de la "Georgian Foundation for Strategic and International Studies", la Russie pourrait se contenter de soutenir l'indépendance de fait de la république séparatiste, en contribuant au développement de son économie, prometteuse.
Asphixiée par l'embargo qui a suivi la guerre de 1992-1993, l'Abkhazie peine à se relever. Ancien paradis touristique, grâce à ses plages et à son climat sub-tropical, la république attire l'intérêt des investisseurs Russes et Arméniens. La population Arménienne importante, originaire de la côte nord de la Turquie à la fin du XIXème siècle, garantit des liens étroits entre l'Arménie et l'Abkhazie, qui attire de nombreux touristes arméniens. La perspective des J.O d'hiver de Sochi en 2014 pourrait faire beaucoup pour l'économie locale: l'Abkhazie devrait fournir matière première et ouvriers nécessaires pour l'immense chantier engagé dans la station balnéaire Russe. Elle pourrait également loger 15 à 20 000 ouvriers, à condition qu'on l'aide à améliorer ses infrastructures. L'enjeu est énorme : modernisation de l'industrie et du réseau de transports en Abkhazie, contre ciment et main d'oeuvre bon marché.
Source Abkhazeti.com
Autre géant régional, la Turquie a aussi son mot à dire. Exportatrice de biens vers l'Irak, l'Iran, (par contrebande) l'Arménie (eh oui!), la puissance économique turque abreuve l'Abkhazie de produits de consommation, important du bois, du métal et du charbon. Les bateaux turcs ne sont que peu touchés par les sanctions des gardes-côtes Géorgiens, qui interdisent théoriquement tout trafic maritime vers l'Abkhazie. Des investisseurs turcs ont également acheté des mines et des champs de noisettes : une manière de contourner la crise provoquée par l'effondrement des prix à Giresun et Ordu, traditonnels bastions de la noisette turque, premier producteur mondial?
Source : http://yandunts.blogspot.com
Mais quel statut futur pour l'Abkhazie me direz-vous? Tout semble laisser croire que ce conflit pourrait rester gelé pour de nombreuses années. Les propositions Géorgiennes de résolution du conflit, basées sur une très large autonomie dans le respect de l'intégrité territoriale de la Géorgie, font ricaner les dirigeants Abkhazes. C'est en effet ce que demandaient les Abkhazes en 1991, ce à quoi la Géorgie avait répondu par une invasion et le bombardement de la capitale. Lors de pourparlers pour la résolution du conflit, de 1994 à 1997, la Géorgie de Chevernadez avait refusé à plusieurs reprises un Etat basé sur "l'union de deux sujet égaux", tous les deux reconnus internationalement, avec un droit à la sécession.
Dans l'esprit des dirigeants Abkhazes, la seule solution est l'indépendance, et tout retour dans le giron Géorgien est exclu. La Géorgie cherche donc l'intégration dans l'OTAN, afin de "sacraliser" son intégrité territoriale. Cependant, la répression des manifestations démocratiques de Tbilissi en Novembre 2007 a changé la donne, et pourrait peser très lourd sur les chances géorgiennes de recevoir l'aval de l'OTAN au sommet de Bucarest. La communauté internationale est de toutes façons farouchement opposée à l'indépendance de l'Abkhazie, mais le précédent du Kosovo risque de peser lourd.
Moscou cependant ne devrait pas appuyer l'indépendance Abkhaze, car un précédent caucasien pèserait pour la Russie bien plus lourd qu'un énième redécoupage des frontière dans les Balkans.
Quid d'une intégration à la Russie? Le ministre des affaires étrangères Abkhaze, Serguei Shamba, propose pour l'Abkhazie un statut proche de celui des Iles Marshall vis à vis des Etats-Unis, un état de "libre association", de fait un protectorat. L'Abkhazie synchronise déja sa législation sur celle de la Russie, ses citoyens bénéficient du passeport Russe, nécessaire pour voyager à l'étranger. Une annexion pure et simple, même avec l'accord de la population Abkhaze, serait internationalement encore plus incacceptable qu'une reconnaissance de l'indépendance.
Manœuvres de l'armée Géorgienne
La dernière solution, qui fait craindre l'embrasement général du Caucase, est une invasion de l'Abkhazie par l'armée Géorgienne. La Géorgie a quadruplé son budget militaire depuis 2003, multiplie les manoeuvres et les accrochements à la frontière de l'Abkhazie, ainsi que les déclarations belliqueuses. Seule la menace Russe a pour l'instant retenu le gouvernement de le Sakachvilli, mis en jambe par sa reconquête éclaire et sans effusion de sang de l'Adjarie en 2004. En l'absence de perspective politique, l'option militaire est elle envisageable? Une invasion Géorgienne pourrait conquérir l'Abkhazie en quelques jours. Mais l'équilibre de la terreur joue à plein dans cette guerre froide du Caucase, et la tension extrême des relations russo-géorgienne dissuade Tbilissi de tenter le diable.
Affiche à la gloire de l'armée Abkhaze à Sukhumi