Les débats organisés par la commission Sicard sur la fin de vie seraient-ils un peu truqués ? Ou tout simplement volontairement inutiles ? En juillet dernier, le professeur Didier Sicard, ancien président d’honneur du comité consultatif national d’éthique, a été chargé par le président François Hollande de mener une réflexion sur la fin de vie. Depuis septembre, lui et son équipe parcourent les grandes villes du territoire français pour recueillir les avis du terrain, des professionnels de santé et des personnes directement concernées par la fin de vie.
L’ambition de François Hollande est de pouvoir, au cours de son quinquennat, réaliser l’une de ses promesses de campagne, l’engagement 21 : « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
Pour mais contre, pour parce que contre
L’engagement était pourtant contrebalancé par ses propos du 17 février : « L’euthanasie, je n’y suis pas favorable. Je suis pour le droit de mourir dans la dignité. […] A quel moment décider ou non d’arrêter les soins palliatifs, même si la souffrance, grâce à eux, est amoindrie ? Il faut avoir une expression de la personne, de la famille, des médecins qui doivent être consultés, et à ce moment-là, dans quelques très rares cas, il s’agit de faire un acte de compassion qui va soulager non la famille, mais la personne. » (Marianne)
Professeur Didier Sicard, ancien président d’honneur du comité consultatif national d’éthique.
Pendant sa campagne, François Hollande a retiré de son vocabulaire le mot « euthanasie ». Mais le « droit à mourir dans la dignité » a subsisté avec tout ce que cette expression recouvre comme double sens : je suis autant pour cette expression que peut l’être le plus fervent des « euthanasieurs » ; tout dépend de la signification que l’on met dans le mot « dignité ». Désormais, tout est dans la subtilité des mots : on est contre, mais on est pour, parce que il est difficile d’être totalement pour le contre.
La stratégie de la loi d’exception
Ainsi Régis Aubry, professeur de médecine en soins palliatifs et membre de la commission Sicard, formulait les choses ainsi, à l’issue du débat qui s’est déroulé à Montpellier le samedi 6 octobre : “Les demandes d’euthanasie n’évoluent pas lorsque les soins palliatifs arrivent très tard. Alors que lorsque la prise en charge est précoce, les demandes d’euthanasie s’estompent”. Voilà une formule qui convaincrait n’importe quel opposant à l’euthanasie. Sauf qu’il continue de cette manière : “Ceci dit elles nous obligent à réfléchir sur leur sens et sur ce que l’on peut faire. Les demandes insistantes et persistantes sont extrêmement rares. Mais ce qui est rare est peut-être précieux à investiguer”. Autrement dit, il manque à la loi Leonetti, une loi d’exception qui s’articulerait autour du même principe que celle voulue par Didier Sicard en 2000 lorsqu’il avait parlé de l’« exception d’euthanasie », sauf que le mot « euthanasie » a disparu. Rappelons que le droit au divorce (1884) et le droit à l’avortement (1974) furent votés dans le cadre de mesures d’exception.
La bataille des mots
Est-ce la volonté de Didier Sicard ? Sa nomination par le Président de la République avait soulevé quelques oppositions, en raison de sa confession protestante et de ses réserves quant à l’idée d’une légalisation de l’euthanasie. Sa position a évolué en dix ans : « À l’époque, les soins palliatifs n’étaient pas aussi développés qu’aujourd’hui et l’acharnement thérapeutique était très présent » (Entretien à La Croix le 17/07/2012). La nomination de Didier Sicard à la tête de cette commission n’est-elle pas une manière de jouer sur les deux tableaux, afin de brouiller les pistes ?
Pour l’instant, le lobbye pro-euthanasie a gagné la bataille des mots, substituant au terme « euthanasie » celui de « droit à mourir dans la dignité ». Ceux qui s’opposent à l’euthanasie n’ont d’autres termes que « soin palliatif » à proposer, terme pour le moins abscon qui ne parle à personne si ce n’est au personnel médical. Quant au débat philosophique, il est immédiatement réduit à néant par les arguments chargés d’affect des patients en fin de vie que l’ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) se plaît à utiliser.
Jouant sur les mots et sur de fausses fébrilités, toute la stratégie de communication de la commission Sicard repose sur une hostilité de façade à l’euthanasie, tout en considérant que les cas extrêmes ne relèvent pas de l’euthanasie, mais de la mort dans la dignité. Et comme la dignité est un concept flou…
Bref, être pour l’euthanasie, c’est être contre l’euthanasie. Les militants pro-euthanasie cherchent à remporter le combat dans l’ambiguïté et le paradoxe.
Un faux débat populaire
Reste à savoir ce qu’en pense le peuple. Ce recueil des avis de la province par la commission Sicard semble n’être qu’une mascarade pour donner l’illusion du débat démocratique. A Montpellier, l’un des débatteurs est venu exprès de Paris : on ne peut s’empêcher de soupçonner son témoignage de mauvaise intention, dans le but manifeste d’évoquer des situations extrêmes si rares que l’ADMD craignait de n’en pas recueillir une dans ses déplacements. Retrouverait-on ainsi ces mêmes Franciliens dans chaque ville-étape ? On exporte le débat parisien – qui ne reste qu’un débat d’idéologues –, pour faire croire qu’il vient de la province, autrement dit du peuple.
« L’euthanasie n’est que la conséquence de l’acharnement thérapeutique »
Professeur Olivier Jonquet, chef de service de réanimation au centre universitaire de Montpellier.
Le professeur Olivier Jonquet, chef du service de réanimation médicale au Centre universitaire de Montpellier était présent le 6 octobre et gardait ce même sentiment d’un débat joué d’avance :
“Les positions nuancées se trouvaient en retrait face à des gens qui s’exprimaient pour l’euthanasie avec violence. Bien-sûr, ils faisaient part de certaines carences, mais celles-ci n’auraient pas été résolues par l’euthanasie, tandis qu’elles auraient pu l’être dans le cadre de la loi actuelle. Si on ouvre le droit de tuer, ne serait-ce que pour les situations extrêmes, on ouvre une brèche, comme ce fut le cas en 1974 pour le droit à l’avortement. On croît régler le problème par des moyens techniques, alors que tout médecin doit vivre la tension entre soins techniques et accompagnement, savoir ce qui est le mieux pour le patient. Acharnement thérapeutique et euthanasie procèdent du même raisonnement qui est la réduction de la médecine à ces moyens techniques. L’euthanasie est la conséquence de l’acharnement thérapeutique.”
Pierre Mayrant