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Un mouton en peluche : les défis du syndicalisme français

Publié le 29 octobre 2012 par Copeau @Contrepoints

Ce mouton en peluche est une illustration de l’échec des syndicats français. Au lieu de travailler sur la modernisation du Code de travail, ils préfèrent s'adonner à la marchandisation de ces choses futiles.
Par Natasa Jevtovic.

Un mouton en peluche : les défis du syndicalisme français
Au début de l’année, la banque pour laquelle je travaille a déclaré qu’elle allait licencier un grand nombre de salariés parce que ses actions chutent en Bourse, entre autres parce qu’elle a accordé des prêts à la Grèce qui ne peut pas les rembourser.

Je travaille au département qui gère le booking de produits dérivés ayant comme sous-jacent le pétrole brut, le gaz naturel, l’or, l’argent, le coton, le café ou encore le bétail. Chacun effectue des petites tâches à répétition, afin d’accomplir le maximum de travail en un minimum de temps. Ceci a permis la démocratisation des services financiers et désormais tout le monde peut avoir un compte d’épargne ou une assurance-vie.

À neuf heures du matin, toutes les transactions doivent être enregistrées dans les systèmes informatiques et envoyées aux ingénieurs financiers qui calculent le coût du risque pour chaque produit. Ils doivent communiquer leurs valorisations à 10h30, qui sont ensuite comparées avec les valorisations envoyées par les clients et intégrées dans un rapport consolidé qui, à son tour, doit être complété avant 14h. Les valorisations sont publiées afin que les investisseurs puissent suivre la rentabilité de chaque fonds dans lequel ils investissent leur argent.

Dans mon département il y a peu de femmes ; elles sont toujours de moins au moins nombreuses lorsqu’on grimpe l’échelle sociale. Les hommes sous le stress se comportent comme des adolescents, lancent des jurons et donnent des coups de poing au bureau ou à l’ordinateur. Quand ils sont de bonne humeur, ils lancent les balles. L’humour est intellectuel et corrosif. Ils demandent sans cesse si un rapport est terminé et il faut avoir beaucoup de sang-froid pour rester concentré.

Bien sûr, tout le monde surveille de près ce qui se passe sur les marchés et a peur de perdre son emploi. Un collègue m’a même dit que j’avais de la chance d’avoir signé un contrat de travail temporaire, parce que j’aurai une meilleure chance de rester dans l’entreprise.

En France, chaque grande société a son «comité d’entreprise» dans lequel les membres des syndicats, essentiellement de gauche, « représentent » les employés, négocient les augmentations collectives et organisent les grèves connues dans le monde entier. Ils achètent pour le personnel des billets d’avion moins chers, ou encore des abonnements pour le cinéma ou les clubs sportifs.

Tous les jours, le comité d’entreprise nous envoie des notifications de tout genre. «Le CE est ouvert jusqu’à 15h. » « Venez chercher votre cadeau de Noël ». » « Si vous êtes intéressés par les billets à moitié prix pour le parc Astérix, contactez-nous avant le vendredi. » « Remplissez le formulaire ci-joint si vous êtes intéressés par les poêles Tefal, 30€ la pièce. » « À vendre les jouets en peluche, au prix très intéressant de 15€. »

« Quinze euros n’est pas un prix intéressant pour un jouet en peluche », a fait remarquer un collègue, agacé par les trois cents e-mails en moyenne que nous recevons par jour et par le fait que nous n’arrivons pas à traiter plus d’un tiers. Le catalogue de Tefal avait pris 70 méga-octets de mémoire, l’équivalent de soixante-dix messages électroniques ordinaires, en alourdissant inutilement le serveur.

« Ce serait préférable d’abolir le CE et augmenter les salaires », lui ai-je répondu. J’ai appris récemment qu’en France, les syndicats reçoivent davantage de subventions que l’Éducation nationale. Cette année, suite à la crise financière, notre banque ne versera pas de dividendes aux actionnaires et les salaires n’augmenteront pas pour suivre l’inflation.

« Il reste seulement quelques jouets en peluche, pour ceux qui sont toujours intéressés » nous a de nouveau écrit le CE.

Le collègue assis derrière moi, très gentil et prévenant, jette autour de lui tout ce qui lui tombe sous la main lorsqu’il est stressé. Il vient d’exploser une bouteille d’eau en plastique. Le collègue qui est assis devant moi gère le pire client et raccroche son téléphone si furieusement que je sursaute à chaque fois sur ma chaise.

« Il reste encore une seule peluche, un mouton, et nous la vendons à moitié prix, à seulement 7€, au premier qui répondra à ce message. »

On boit beaucoup de café et la majorité des collègues apportent un thermos pour ne pas prendre des pauses car il n’y a pas de temps à perdre. Récemment, mon supérieur m’a informé que j’allais remplacer le collègue d’en face pour qu’il puisse prendre en charge une partie de travail de l’équipe voisine, tellement submergée de travail qu’elle reste au bureau jusqu’à dix heures du soir. Cela signifie que je vais faire un travail de deux personnes.

Après la pause déjeuner, pressée de terminer un rapport, je trouve le message suivant : « La peluche est vendue ». En voyant un tel message surréaliste, j’ai éclaté de rire, en évacuant tout le stress. Ce jour-là, à chaque fois qu’un collègue revenait de la pause déjeuner et ouvrait sa boîte aux lettres, il disait à haute voix, « la peluche est vendue ! » d’un ton qui voulait dire, « zut alors, pas de chance, quelqu’un a été plus rapide... »

Un mouton en peluche : les défis du syndicalisme français
Ce mouton en peluche est une illustration de l’échec des syndicats français. Au lieu de travailler sur la modernisation du Code de travail, ils protestent contre l’ouverture des supermarchés le dimanche, pour que les travailleurs puissent se reposer. Peut-être ces mêmes travailleurs non qualifiés seraient prêts à faire des heures supplémentaires pour gagner un peu plus d’argent et avoir un meilleur niveau de vie. En tout cas, ils auraient certainement préféré décider librement de leur choix, plutôt que de laisser l’État ou les syndicats décider pour eux. La loi qui fixe la durée légale du travail hebdomadaire à 35 heures, inspirée des idées communistes, a entraîné une baisse drastique du niveau de vie parmi les travailleurs non qualifiés qui ne peuvent plus faire des heures supplémentaires.

Lorsqu’une entreprise française rencontre des problèmes financiers, elle ne peut pas licencier ses salariés sans un procès au tribunal, ce qui pousse les plus petites parmi elles à la faillite. Ça ne fait rien, si nous plongeons, pensent les syndicats, nous plongeons tous ensemble. Un code de travail si sévère est également défavorable aux travailleurs. Si le licenciement est impossible, à moins que le travailleur frappe son patron, alors chaque prochain employeur pensera que c’est la faute du salarié s’il a perdu son emploi. Cette semaine, un autre collègue a été remercié après quatre ans d’efforts et d’engagement, pour « insuffisance professionnelle ». Ce serait bien si les gens pouvaient être licenciés sans motif, mais je pense que les syndicats n’accepteront jamais une telle idée.

Étant une enfant de la mondialisation, j’aime changer d'emploi et acquérir des expériences diverses – ce qui devrait être un point positif – mais j’ai toujours l’impression que les Français me regardent avec méfiance et pensent que je suis instable. Pourtant, dans tous les pays où les licenciements sont faciles, il est beaucoup plus facile de trouver un emploi et le chômage n’est pas une honte.

En France, même les étrangers ont le droit de voter aux Prud’hommes. Cependant, lors du dernier scrutin, seulement 25% des salariés ont voté, bien qu’il était possible de le faire en ligne et par correspondance. Les gens n’ont tout simplement pas l’impression que ces syndicats les représentent. Connus pour des grèves massives qui paralysent la circulation ou les établissement d’enseignement, ainsi que par une adhésion qui coûte 1% du salaire annuel brut, ils se battent essentiellement pour rendre les loi plus strictes en matière d’embauche et de licenciement. Récemment, une commission de l’Assemblée Nationale a rédigé un rapport sur le financement des syndicats, le rapport Perruchot, dont la publication a été interdite (!) selon les méthodes soviétiques.

Je voudrais être représentée par les syndicats qui proposent des allègements fiscaux pour les entreprises qui embauchent les personnes âgées ou les jeunes sans expérience, qui se battent pour que les hommes et les femmes qui font le même travail aient les mêmes revenus, qui prônent l’ouverture des crèches au sein de l’entreprise pour que les femmes n’aient pas à choisir entre le travail et la famille, qui négocient avec les employeurs pour permettre à ceux qui le souhaitent de travailler au domicile par Internet, afin qu’ils puissent en même temps garder les enfants...

Ce serait encore mieux si les syndicats français pouvaient promouvoir le travail d’équipe pour remplacer la soumission aveugle à la hiérarchie et s’engager pour réduire la bureaucratie, ce qui permettrait d’améliorer les conditions de travail. Et s’ils travaillaient sur la création d’un marché unique du travail en Europe, on aurait trouvé des candidats pour les trois millions d’emplois sur le continent qui restent non pourvus chaque année et ils auraient sans doute mis un terme au chômage. Malheureusement, au lieu de cela, ils se battent pour des idées dépassées et donnent des cadeaux aux gens pour qu’ils se sentent privilégiés quand ils ne le sont pas. Au lieu de construire l’avenir en acceptant la réalité, ils continuent de la nier.

Cette semaine, un message du CE nous a informé qu’il a reçu par erreur trois ratons laveurs en peluche vendus à 7€ pièce. Le paiement par chèque est à l’ordre de l’un des membres du CE, qui n’a pas eu l’idée de retourner les jouets à l’expéditeur et qui n’avait pas honte d’envoyer un tel message.

Hier, j’ai reçu une lettre de mon cabinet de recrutement qui m’informe qu’il recherche des candidats pour les offres d’emploi au Luxembourg. Il semblerait que la France qui manque d’imagination a rendu les armes face à la crise. Je me suis tellement habituée à ce pays que je ne me sens plus à l’étranger, mais je me demande parfois ce que ce serait d’aller quelque part ailleurs pour recommencer à zéro...

Comme lorsque je suis arrivée à Paris pour la première fois, convaincue que rien n’était impossible.

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Publié initialement le 5 mars 2012 par le quotidien belgradois Politika. Traduction de l'auteur pour Contrepoints.


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