Le transport aιrien est en perpιtuel devenir. Mais il ne suscite pas un dιbat sans cesse recommencι uniquement pour des raisons ιconomiques ou techniques. Tout au contraire, il est en train de devenir un bon sujet pour «Psychologie Magazine», dans un contexte qui surprend et intrigue. En effet, au-delΰ de la concurrence que se livrent grandes et petites compagnies aιriennes, ou encore les trois grandes alliances «globales», on voit poindre le souhait d’ιtablir des liens littιralement affectifs entre voyageurs et transporteurs. Et ce n’est apparemment pas du marketing, ou pas uniquement.
En utilisant un vocabulaire trθs ΰ la mode, typiquement franηais, il s’agit d’une tentative de rι-enchantement des passagers, dιηus de la tournure prise par les ιvιnements, les conditions de voyage s’ιtant profondιment dιgradιes, en partie parce que le secteur est en quelque sorte victime de son propre succθs. Et, en mκme temps, en raison d’influences extιrieures qui compliquent singuliθrement la vie, notamment l’intrusion de la sϋretι. Laquelle, qui plus est, est confiιe ΰ des «agents» qui manquent prιcisιment d’un petit minimum de psychologie. En clair, bien que leur rτle soit important, ils nous empoisonnent la vie.
Jeff Cacy, directeur Branding and Marketing, de Boeing Commercial Airplanes, fort d’un enthousiasme communicatif, s’efforce de suggιrer un retour ΰ une ambiance plus positive, plus optimiste, un «return to joy», pour reprendre son expression favorite. Il s’en est ouvert publiquement en faisant bon usage de la tribune que lui offrait le sιminaire APG World Connect qui vient de se terminer ΰ Monaco. Il a ιlevι le dιbat, n’a aucunement cherchι ΰ rappeler que Boeing construit d’excellents avions mais s’est plutτt attachι ΰ expliquer un souhait trθs fort de retour ΰ une analyse approfondie des aspirations des voyageurs aιriens.
Mieux, il a justifiι cette approche novatrice en notant que les circonstances sont propices ΰ de tels travaux, en ces temps de rιseaux sociaux omniprιsents. Et d’ajouter aussitτt que tous les voyageurs ne sont pas ιgaux face au transport aιrien, que leurs attentes sont variιes, diverses et ιvolutives. Et, c’est lΰ l’essentiel du message, en clamant que «votre compagnie aιrienne a une personnalitι». Ce qui sous-entend qu’elle devrait κtre capable de nouer des liens ιtroits avec les clients, grβce aux nouveaux outils de communication qui sont disponibles. D’autant que, d’un point de vue topologique ou sociologique (deux mots que Jeff Cacy n’utilise pas), le marchι est segmentι ιconomiquement.
Entre 15 et 20% des passagers, en moyenne, produisent environ 50% du chiffre d’affaires d’une compagnie, ce qui ne constitue sans doute pas une raison suffisante pour se focaliser sur les recettes unitaires les plus ιlevιes. Tout est dans le non-dit dans la mesure oω un grand industriel, qui plus est amιricain, ne se permettrait en aucun cas d’adresser la moindre critique ΰ ses clients. Le propos est donc en demi-teinte, noyι dans des prιcautions oratoires, mais le message n’en est pas moins clair. Il convient de se mettre ΰ la place de ceux qui forment les diffιrents segments du marchι : le suggιrer revient ΰ dire que ce n’est pas vraiment le cas.
Curieusement, c’est lΰ un thθme de rιflexion que la SNCF semble mieux maξtriser que les compagnies aιriennes. Tout au moins en auscultant sa maniθre de procιder, elle qui transporte chaque annιe 100 millions de passagers ΰ bord de ses TGV, Eurostar et autres Thalys. Barbara Dalibard, autre invitιe d’APG, aux commandes de SNCF Voyages, l’a implicitement dιclarι. Et elle a, au passage, remis les pendules ΰ l’heure en affirmant que c’est bel et bien la voiture particuliθre, et non pas l’avion, qui constitue le vrai concurrent du train ΰ grande vitesse. Il ιtait plus que temps que ce soit clairement dit, le mythe de l’affrontement A320 contre TGV sur les liaisons intιrieures franηaises ayant la vie dure.
Barbara Dalibard prιfθre la complιmentaritι et cite volontiers un slogan publicitaire qui dit l’essentiel en peu de mots, «atterrissez dans la gare la plus proche». Elle aussi ιvoque le grand rτle des rιseaux sociaux et ιvite d’utiliser le vocable «low cost», prιfιrant «ιco-train» au moment de l’annonce de trθs petits prix sur Paris-Montpellier. Cela tout en reconnaissant que le rail a empruntι de nombreuses idιes ΰ l’avion. Lΰ s’arrκte la comparaison, encore que la segmentation du marchι soit sans doute similaire. Mais il n’est pas pour autant question de susciter un quelconque rι-enchantement. Ce n’est pas le propos du jour.
Pierre Sparaco - AeroMorning