Savoie : vignoble aux sports d’hiver.
La Savoie, ses montagnes, ses stations, son fromage d’alpage, son vin blanc pour le faire fondre et l’accompagner. Ce vignoble microscopique mais néanmoins historique ne se résume pourtant pas un vin fromager descendant tout schuss dans le gosier du skieur en manque de tartiflette lors de ses vacances d’hiver. Avec ses 143 sommets de plus de 3000 mètres d’altitude, la Savoie ne manque pas de hauteur. Si son vignoble s’étire plutôt dans les cluses et les vallées, il possède toutes les qualités requises à un bon épanouissement de la vigne. Des bords du lac Léman au fond de la vallée de la Tarentaise, la Savoie regorge de terroirs plus ou moins méconnus et de cépages autochtones et authentiques. Surtout lorsqu’ils sont travaillés artisanalement et avec ferveur. Les Allobroges, fier peuple celte, vivant à flanc de montagne, cultivaient déjà la vigne bien avant l’arrivée des Ducs de Savoie et même des Romains. Ces derniers l’ont annexée, domestiquée et exploitée, conférant au cépage originel, Vitis Allobrogica, certaines de ses lettres de noblesse. Il faut de tout pour faire une mondeuse, mais le vénérable ancêtre des cépages allobroges a très certainement donné naissance à ce fleuron actuel de la viticulture savoyarde, ainsi qu’à sa cousine syrah, qui a migré par la suite dans la vallée du Rhône.
Rouges (à base de pinot noir, gamay, persan ou mondeuse) ou blancs (à base de jacquère, malvoisie, bergeron, gringet, chasselas, chardonnay et altesse), sans parler des cépages inusités, mais heureusement sauvés de l'oubli complet, les vins savoyards ne souffrent pas d’un manque de diversité. Ayse, Ripaille, Chautagne, Seyssel, Frangy, Jongieux, Chignin, Arbin, Abymes, Apremont ou encore Cevins sont autant de lieux qui reflètent les différents visages de la Savoie viticole, qui tient dans son ensemble une forme olympique.
Les Savoyards réunis ont d’ailleurs tous la flamme pour le fruit de leur vignoble, auquel ils attribuent haut la main la médaille d’or du meilleur vin jamais produit au monde.
Vinocamp : camp de concentration de geeks amoureux du vin, où l’on parle de vin, d'Internet, de vin et Internet.
Donner des clés pour aider les vignerons à communiquer et essayer de sortir les vins savoyards du cliché réducteur de "vins de sports d'hiver", c'était l'un des objectifs de ce Vinocamp savoyard organisé par Miss Vicky Wine, Grégoire Japiot et Franck "Tweety wine" Merloz (j'ai cru voir un gominé...), avec le concours de l'Interprofession des vins de Savoie. Le week-end a été plutôt bien choisi (ou mal, c'est selon), puisque la neige a elle aussi été au rendez-vous, rendant les paysages somptueux, mais l'usage des moonboots quasiment indispensable pour les Parisiens, les Champenois se contentant, quant à eux, d'une doudoune fourrée, de gants, d'un bonnet sans pompon et d'une écharpe polaire. Les Savoyards et les Jurassiens étaient en tee-shirt, comme d'habitude. Vins de Savoie et hiver, une image qui colle définitivement à la peau!
Riche de toutes ses particularités, le vignoble savoyard a pourtant des atouts. Les paysages, grandioses, les cépages, bien souvent originaux, quand ils ne sont pas modestes ou oubliés, l'ancienneté et l'Histoire. Les valoriser, en communiquant mieux, sans pour autant dissocier cépage et terroir, voilà l'enjeu. Mettre l'accent sur jacquère, roussette ou mondeuse, plutôt que sur les terroirs ou les crus, voilà qui pourrait peut-être contribuer à simplifier l'image de la Savoie viticole aux yeux du grand public. Tout en maintenant un deuxième niveau de lecture pour continuer à cultiver la spécificité de chaque lieu. Sans oublier ces vieux cépages, donc un certain nombre d'exemplaires sont pieusement conservés au domaine Méjane de Saint-Jean-de-la-Porte, à la double casquette de domaine et pépinière viticoles (comme plusieurs de ses collègues, d'ailleurs, ce qui contribue à faire de la Combe de Savoie la deuxième région française productrice de plants viticoles). À titre d'exemple, le Cacaboué blanc jouit d'un anonymat complet, qui lui permet de devenir caca et tout noir dans l'indifférence générale, quand il n'est pas vendangé.
Tous ces échanges particulièrement constructifs finissent évidemment par donner soif et déboucher sur un Live Tasting ou chacun peut présenter sa production et permettre de réjouissants travaux pratiques aux Vinocampeurs, à grands coups de mondeuse, altesse ou jacquère.
Celles du domaine Saint-Germain, par exemple, qui présente également un fort joli persan et une altesse 2006 en jéroboam. La jacquère, ça vieillit bien aussi, la preuve avec le millésime 2004 de Jean-Claude Masson, truculent vigneron d'Apremont, encensé par Jean-Pierre Coffe (période pré Leaderprice) et Robert Parker himself, s'il vous plaît. Rayon vieux cépages, mention particulière au persan de Nicolas Gonin, qui a dû abandonner les armoiries du Dauphiné sur ses étiquettes pour partir à la conquête de New-York. Ainsi qu'à la verdesse (récoltée en surmaturité) et à l'étraire de la dhuy de Thomas Finot, dans le Grésivaudan. Isère power!
Après le Live Tasting, une fois la soif étanchée, place à la méditation et au rancio. Le magot, ce fut justement El mago, une solera de grenache de 1928, forcément sortie de la manche de Marlène Angelloz, représentante du très officiel Fan-club mondial du grenache, avant un magnum de Côtes du Jura Cuvée Florine 2009, pour la soif, sifflée en moins de temps qu'il n'en a fallu pour l'ouvrir.
Une aussi longue et belle soirée méritait bien la nuit la plus longue de l'année, changement d'heure oblige. En pleine forme le lendemain, pour rencontrer les Pétavins au caveau des Augustins de Saint-Pierre d'Albigny. L'association des Pétavins (du nom d'une ronce qui jonche naturellement le sol dans les vignes, quand on respecte l'écosystème) regroupe une poignée de vignerons savoyards engagés dans l'agriculture biologique et qui ont envie de la promouvoir pour valoriser leur travail.
Une bande de joyeux drilles et de fondus savoyards au diapason de leurs vins: Michel Grisard, qui s'essaye avec bonheur à la production d'altesse jaune, pour ne pas gâcher des fonds de tonneaux non embouteillés (3 millésimes d'affilée des années 90, laissés en vidange depuis une vingtaine d'année), Raphaël Saint-Germain, Louis Magnin, Adrien Berlioz et Gilles "oh! les filles, oh! les filles!" Berlioz. Manquaient à l'appel sur la photo Frédéric et David Giachino, Olivier Lelièvre, du Bugey voisin et dont la mondeuse Octobre fait sensation, ainsi que Jacques Maillet. Pour clore la dégustation d'une bonne partie de leurs vins, les diots, cuits dans le marc de raisin à l'alambic, ont été servis à la louche. De quoi rassasier une horde de vinocampeurs affamés de produits savoyards authentiques et de qualité. Avant un traditionnel verre de Génépi, évidemment, pour digérer et pour la route...
Olif