Je suis en train de lire l'excellent "Les cartes, enjeux politiques" d'Eudes Girard, chez Ellipses. Passionant livre qui nous donne au passage un bijou de pratique géopolitique : Colomb et l'Amérique sont subitement relativisés.
1/ En effet, vous avez forcément été charmés par le délicieux petit roman d'Orsenna contant la vie du frère de Christophe Colomb et donc celle de l'inventeur obsessionnel de l'Amérique.
2/ Que nous dit Girard ? Que les Portugais, lancés par Henri le Navigateur à la conquête de l'Atlantique, seul vase d'expansion qui leur resta, coincés qu'ils étaient dans leur ultime finistère européen, avaient constitué à Sagres un centre naval complexe : à la fois chantier naval, école de navigation et atelier de cartes. La carte (le portulan, relevé des traits de côtes), constituait un enjeu majeur car il représentait le savoir.
3/ Il semble surtout que les Portugais avaient découvert par hasard, à la faveur des alizées portants, les terres de l'extrême ouest : autrement dit, celles du Brésil, donc des Amériques.
4/ Cette information fut élevée au rang de "secret d'État". Secret car il ne fallait pas que l'information se diffuse. Pas de partage scientifique des connaissances, alors, mais une appropriation. Et comme les brevets n'existaient pas (protection de la propriété intellectuelle) , on gardait ça pour soi. Soi : l'Etat, en l'occurrence. Qui allait savoir utiliser cette nouvelle peu après.
5/ Ainsi s'expliquent deux attitudes que je comprenais mal autrement. La première est le refus portugais d'accéder aux démarches de Christophe Colomb. Lisbonne aurait dû logiquement encourager le Gênois. Mais elle refusa car elle savait trop bien ce qu'il en était : à l'ouest, on ne trouvait pas les Indes, mais d'autres terres.
6/ Ce qui explique la négociation du traité de Tordessillas, en 1494, un an à peine après la découverte de Colomb. Logiquement, les Portugais n'auraient dû réclamer que l'Atlantique oriental. Mais ils éloignent la ligne de partage vers l'ouest, jusqu'à 370 lieues à l'ouest du Cap-Vert quand au début des négociations on ne parlait que de 100 lieues. Le secret permit à l'État de négocier au mieux de ses intérêts.
Ce secret gardé, protégé puis exploité, fait qu'aujourd'hui, le Brésil parle portugais. La carte constituait en elle même un trésor caché.
O. Kempf