Les précédents billets sur les taux d’imposition des plus-values en cas de cession de société, ainsi que de l’algorithme de folie caché derrière m’ont naturellement poussé à me pencher sur la question de l’imposition, et notamment sur le plus inique d’entre eux, celui sur la mort. Et là, j’ai eu quelques surprises.
Tout d’abord, il faut bien comprendre que la mort, aussi douloureuse et terminale soit-elle, ne constitue en rien un rempart pour les sévices fiscaux. Même mort, vous serez l’objet de tractations et de déclarations, de taxes et de ponctions, bien plus souvent financières qu’organiques. On pourra lire, pour illustrer, la façon dont Bercy impose le transport de défunts.
Et puis, soyons honnêtes : la France n’a pas le monopole de l’imposition sur la mort. Beaucoup (trop) de pays pratiquent encore cet acte honteux. Cependant, l’acte n’est pas pratiqué de la même façon d’un pays à l’autre. Certains pays ont la main plus lourde que d’autres, d’une part, et n’envisagent pas l’égalité des citoyens devant l’impôt de la même façon.
L’avantage d’internet, c’est qu’il permet à présent de comparer les différents régimes fiscaux plus ou moins vexatoires en place dans les différents pays d’Europe. En fouillant, on trouve des choses intéressantes qui permettent de faire quelques comparaisons. Pour rendre les choses plus parlantes, et afin de comparer ce qui est comparable, j’ai procédé à l’établissement de l’impôt pour différentes successions dans un cas simple : un ascendant décède sans collatéral (pas de femme ou pas de mari, selon le cas), et laisse une somme donnée à son unique enfant. J’ai choisi quatre sommes : 10.000 euros d’héritage, 100.000, 1 million et 10 millions. La première correspond à un petit héritage d’une famille très modeste. Le second représente un héritage de la classe moyenne. Le troisième est celui d’une famille aisée, et le quatrième, d’une famille riche.
En fonction de votre pays de résidence, vous serez plus ou moins ponctionné. Certains pays n’ont même aucun impôt sur les successions, soit totalement, soit dans les cas les plus simples comme celui que j’ai défini (héritage versé aux descendants directs), comme la Suisse, le Luxembourg, Chypre, Malte, le Portugal, l’Estonie, l’Autriche, la Bulgarie ou la Suède. Le crin-crin habituel des jaloux et des envieux n’a semble-t-il pas fonctionné dans ces pays, qui attirent toujours plus les familles désireuses de transmettre autre chose que des problèmes à sa progéniture.
De ces pays européens qui pratiquent l’impôt sur la mort, on note qu’il est calculé sur une somme abattue d’un montant plus ou moins grand en fonction de la parenté. Typiquement, l’abattement sera plus grand pour un descendant direct. Magie du socialisme : plus on est riche, plus on a intérêt à faire des enfants, bénéficier des éventuelles allocations familiales, et exonérer son héritage de tout impôt grâce aux abattements. Par exemple, en Italie, l’abattement est d’un million d’euros, ce qui laisse une bonne marge de manœuvre.
Ensuite, une fois l’abattement appliqué, chaque pays y va de sa petite cuisine. Si l’on passe le cas évident des donations de son vivant, pénibles à faire et lourdement taxées en France et pas du tout en Angleterre par exemple, et qui permettent de réduire d’autant la somme finale en héritage, les mécanismes sont plus ou moins compliqués, plus ou moins bien expliqués (la loi fiscale française en la matière, écrite dans un sabir truffé de renvois et d’alinéas, est un régal) mais reviennent à peu près tous au même principe : des tranches de ponctions, et des taux qui grimpent à mesure que le patrimoine est élevé.
Les chiffres bruts de ce qui reste après le passage des sauterelles de l’État donnent ceci :
Comme on le constate, le croque-mort fiscal commence à grignoter très tôt pour certains pays (Pologne par exemple). Mais pour d’autres, plus sages au début, ils se rattrapent avec brio sur les plus gros montants… Évidemment, tous ces chiffres, cela donne un peu mal à la tête. Si l’on élimine les pays qui ne pratiquent pas l’amputation fiscale post-mortem, et qu’on calcule rapidement le taux global d’imposition en fonction de la somme imposée, on obtient un joli graphique dont je vous fais profiter ci-dessous. Comme d’habitude et sans surprises, c’est la France qui arrive en première position avec près de 45% de ponction. Que voulez-vous, en ce domaine, les crânes d’œuf de Bercy ont une maîtrise parfaite de leur outil, c’en est même effrayant.
À présent, et bien que je n’ai pas encore évoqué l’aspect inique de l’impôt sur les successions, on ne pourra pas empêcher le citoyen européen de poser une question évidente : puisque je peux m’installer où je veux en Europe pour mes vieux jours, pourquoi diable continuerai-je à rester en France (ou en Belgique, ou en Angleterre) si je me fais à ce point ponctionner ? D’autant que le soleil de Malte ou Chypre y est bien plus accueillant, et que la quasi- »flat tax » polonaise adoucit nettement le passage fiscal… Pas étonnant, dès lors, de constater que certains partent aussi pour cette raison.
En outre, ceux qui amassent un pécule, fut-il modeste, le font toujours par le biais d’un travail rémunéré (donc taxé, à plusieurs chefs), ou dans des opérations qui auront créé de la richesse (création ou perpétuation d’une entreprise, développement d’une activité, par exemple) elle-même systématiquement taxée tout au long de son existence. Le capital ainsi constitué aura été ponctionné pendant toute sa constitution.
Pire, lorsqu’un couple amasse un capital, l’impôt sur les succession amputera post-mortem une première fois à la mort du premier conjoint, puis une seconde fois lorsque l’héritage partira aux descendants. Quelle justice y a-t-il dans la première imposition alors que le conjoint survivant a déjà payé le fisc lors de la constitution du capital ? Quelle justice y a-t-il dans la seconde imposition, qui s’ajoute à la première, déjà inique ?
Soyons bien clairs : ce que l’État ampute fiscalement après votre mort, c’est ce qu’il a bien voulu vous laisser de toutes vos activités précédentes où il s’était déjà servi. De façon évidente, l’impôt sur la mort est un impôt sur une somme déjà imposée à de multiples reprises. Comment peut-on parler, à ce moment, d’une nécessaire redistribution de richesse alors que ce qui reste a déjà subi cette redistribution ? Comment parler de justice, d’équité, de participation du citoyen à la vie de l’État alors que ce dernier s’est déjà servi ? Comment ne pas voir que sous couvert de répartition des richesses, l’État se livre avec cet impôt-là au plus inique des pillages puisqu’il incitera tous ceux qui le peuvent à fuir le pays tant qu’ils le peuvent, volera sa part sans hésiter sur ceux qui n’auront pas pu s’évader, et ne redistribuera rien du tout tant il accumule de dettes astronomiques ?
Plus fondamentalement, pourquoi la mort d’un individu autorise l’État à s’octroyer une part sur sa propriété ou celle de ses descendants ? L’impôt sur l’héritage est ce qu’il y a de plus inique puisqu’il dépouille les générations futures en incitant les riches à partir, les classes moyennes à cacher leurs avoirs et les pauvres à le rester pour éviter la tonte. C’est le plus inique puisqu’il s’agit d’une ponction sur un reste après ponction. C’est le plus inique parce qu’il s’attaque directement à la propriété, fondement de la société sans lequel aucun développement, aucune sécurité matérielle ne peut être envisagée.
À l’heure où il devient réellement vital d’attirer les fortunes en France, et d’y conserver les talents, il devient aussi indispensable de repenser cet impôt basé exclusivement sur la jalousie et l’envie.