Jean Lhomme
Je pourrais me demander si je ne manifeste pas ainsi mon dépit de ne pas avoir pu prolonger le lien avec un autre tableau joint au « jeune Ribera » et ma déception à propos d’une recherche personnelle.
Il s’agit du Saint Pierre et Saint Paul d’une collection anglaise (C n° 15 et p. 127) et de la mention d’une toile d’un français à Rome que j’avais trouvée lors de mes Recherches (A, p. 123), et dont j’attends toujours la réapparition.
J’avais relevé dans les archives de la confrérie de Saint-Louis des Français des notes de paiement du 10 décembre 1629 au 19 décembre1631 pour un tableau destiné à la chapelle saint Jean. Il figurait les apôtres André et Jean, et l’abbé Titi dans sa Guida de 1686 y voyait » l’oeuvre de quelque naturaliste dont il ne m’a pas été possible de savoir le nom, et je ne veux pas le baptiser » (belle leçon de prudence !). Le tableau a disparu, vendu en Angleterre en 1866 !
Cependant, le tableau retrouvé en Angleterre ne représente pas André et Jean, mais saint Paul face à saint Pierre vu de dos, qui tient sa clef. Allusion à la controverse pour savoir s’il fallait renoncer à circoncire les païens convertis. Le visage de Paul, très basané et noir, est bien caravagesque.
Mellin
C’est pour moi l’occasion de me rappeler l’allure avinée du Saint Barthélémy de Charles Mellin (photographie dans mes Recherches, A PL. XXI et comment. p. 170). Lui aussi brandit un magnifique couteau, et porte d’amples draperies. A tel point que dans la grande exposition de 2007 consacrée au peintre lorrain que j’ai découvert autrefois, Philippe Malgouyres émet quelques doutes sur l’attribution à Mellin, bien qu’il figure sous ce nom dans l’inventaire des collections du Roi (publié par Arnaud Brejon de la Vergnée).
Les expositions récentes
L’exposition de Montpellier en 2012
Pour finir par d’autres caravagesques anonymes, je trouve dans le catalogue de l’exposition de Montpellier (B pl 46) l’Hérodiade du musée Fabre, que j’avais donnée dans mes Recherches (A, pl XII) en l’attribuant avec d’autres à Claude Mellan, sans conviction.
Au n° 47, un autre Anonyme pour le Repas d’Emmaüs du musée de Nantes, proche du style des Le Nain (j’ai vainement cherché pourquoi l’un des trois frères, Louis, était surnommé « le romain »).
J’avais donné après d’autres oeuvres à la suite un Saint Jean Baptiste de la galerie Doria (A, pl XXII) qu’on peut rapprocher de celui de Cavarozzi à la cathédrale de Tolède (B, p 334, fig 7). On aurait pu montrer la Mort de Sainte Cécile du Musée Fabre (A, pl. XXVI) mais elle n’est pas caravagesque !
Valentin est le grand absent de l’exposition. Et on reproduit (B p. 67, fig 8) sa gigantesque toile de Rome Triomphante, à la Légation de Finlande. Je l’avais vainement cherchée d’après la mention de Chennevières, et c’est je crois mon ami Pierre Thuillier qui l’a découverte quelques années plus tard. On sait que l’artiste aimait représenter des bas-reliefs à l’antique en guise de tables, et on en retrouve un dans le Jugement de Salomon. Jamais chez Ribera. Etc…
Les expositions de Milan en 2005-2006
Google est inépuisable, voici donc quelques compléments rapides. En 2005-2006 ont eu lieu à Milan deux grandes expositions. « Caravaggio e l’Europa » (le catalogue me mentionne deux fois, ce qui me fait plaisir, me sentant moins oublié par les italiens que par les français).
Autre exposition dirigée par Gianni Papi, d’où est issu un livre : « Il genio degli anonimi, Maestri caravaggeschi a Roma e a Napoli ». L’annonce éditoriale rappelle comment on prend la suite de la grande exposition organisée par Longhi à Milan en 1951. Il s’agit toujours d’identifier des inconnus , c’est ce qui a été fait pour Cecco del Caravaggio, et encore pour le Maître du Jugement de Salomon, qui « a été définitivement identifié comme le jeune Ribera à Rome, fait révolutionnaire et qui continuera à révolutionner les études sur Caravage et ses influences ».
Je me dis que c’est ce cette idée de révolution qu’a sans doute voulu reprendre O.Bonfait en distinguant une première révolution opérée par Caravage et une seconde, correspondant à la « Manfrediana methodus » et dont Ribera jeune homme aurait été un des hérauts, reconnu par l’amateur Mancini (le seul à fournir quelques précisions).
Il reste encore une masse d’anonymes, et Papi dégage au moins sept « masters« , par le titre d’une oeuvre ou même son lieu de conservation (le Maître de l’Emmaüs du château de Pau). Pour conclure, cette recherche couvre « les trois premières décades du XVII° siècle ».
L’exposition de Naples
Je saute à l’exposition de Naples avec l’annonce dans le Giornale dell’arte (n° 312, septembre 2011) qui parle des « nuove mosse del giovane Ribera », en reproduisant la Résurrection de Lazare. Toujours la thèse de Papi, pour qui toute l’oeuvre du Maître du Jugement de Salomon est celle de Ribera à Rome, entre 1612 et le milieu de 1616.
Est rappelée l’opinion de Spinosa, qui veut anticiper le premier séjour romain à 1608-1609, pour le tableau du Jugement et quelques figures d’apôtres comme le saint Thomas (celui de Longhi). Au retour de Parme, Ribera aurait produit les autres oeuvres « d’intensité caravagesque accrue »…
Gianni Papi critiqué
Le même numéro du Giornale dell’arte publie un article d’Alessandro Morandotti, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Turin, avec la reproduction du fameux Jugement et un double titre : « La solitude du satyre » (allusion aux moeurs débauchées du jeune Ribera), et : « C’est l’oeil qui aura le dernier mot ».
Une phrase oriente tout de suite vers le doute : » Elle ne convainc pas du tout, l’exposition que le Maître de Jugement de Salomon soit assimilable au jeune Ribera « .
Je ne reprends pas toute la suite, où le critique, qui avait vu l’exposition de Madrid, se plaint de pouvoir suivre de moins en moins. J’ai retenu seulement son regret pour l’absence de deux oeuvres signées et qu’on pense datées vers 1614. Il y a les photos dans C (p 213, fig. 73 et p. 215, fig 77), le Saint Jérôme déposé au musée de Toronto et le Saint Pierre et Saint Paul du Musée de Strasbourg. J’ai retrouvé ce dernier dans l’édition de l’Oeuvre complète, n° 13 (l’autre manque). En lisant la notice, on voit les longues hésitations sur l’attribution, avant qu’une restauration ne permette de retrouver le nom de Ribera. On conclut que ce sont des oeuvres du début du séjour napolitain. Et moi : pourquoi a-t-il attendu ce moment pour signer ? J’observe que dans les années 1630 à 1640 et pour ses grandes oeuvres, il signait souvent « Academicus romanus », sans pour autant tenter de remettre en valeur ses oeuvres romaines du passé.
Pour Morandotti :
« l’absence d’un véritable anneau de jonction entre les deux groupes renouvelle les doutes des plus sceptiques « .
Il demande à voir,
« craignant autrement, d’assister au bref passage (passerella) d’un nouveau « divo » des études caravagesques, dont la carte d’identité doit encore être confirmée »
Un autre article de Morandotti
Morandotti reprend ses remarques dans « L’Indice » (revue des livres de l’année) en associant l’exposition de Naples et une autre dédiée à Artemisia Gentileschi, encore à Milan. Le titre commun : « Entre puzzle et mélo », souligne que pour Ribera on a rassemblé à plaisir des fragments épars, tandis que la fille d’Orazio, formée par son père et pénétrée de l’esprit caravagesque, affectionnait les sujets sanguinolents. Il se plaint de la « fièvre d’expositions », comme le faisait déjà Longhi.
Pour Ribera, il note que les deux expositions :
« différentes dans leur composition et leurs résultats critiques unissaient comme par une cote … » (Adam et Eve) les diverses recherches de Papi, recherches qui sont « parmi les propositions les plus stimulantes, au delà des vérifications nécessaires, encore en cours ». Il faudrait, dit-il, « réussir à établir une suite crédible pour le développement d’une personnalité unique qui, à partir des mouvements rapides et négligés (stesure rapide e trascurate) des oeuvres rattachées au Maître du Jugement, atteint le « virtuosismo sottile » capable de rivaliser avec la perfection d’un Guido Reni… que nous percevons dans des années proches de 1616 dans le Saint Pierre et Paul du musée de Strasbourg ».
L’idée du tournant stylistique à l’arrivée à Naples est pour moi impossible à vérifier, et je n’aime guère la définition du style romain comme « rapide » : le jeune homme à droite du Jugement montre tout le contraire. De même lorsque Morandotti parle des apôtres Cussida comme « strapazzati « (enlevés à la va-vite) !
Donc, « une mosaïque d’oeuvres », et la présentation des deux expositions « donnait un montage qui n’aidait pas à clarifier les choses « .
En conclusion, Morandotti exprime un certain scepticisme :
« En face de tant d’efforts, on se demande si la question de ce qu’a été le vrai Ribera jeune pourra trouver encore des réponses dans des recherches futures »
tout en reconnaissant que
» l’exposition de Naples, comme celle de Madrid (plus fidèle aux études de Papi) aidaient à penser, et c’est un grand mérite qu’il faut reconnaitre aux organisateurs « .
Moi, je pense plutôt aux dernières pages désabusées de Spinosa (C p. 226) où il évoque une sorte de jeu dans la recherche des attributions, sans cesse renouvelées et contredites. Il n’y a pas de « vérités immuables ».
Et moi, que j’ai bien fait de ne pas me lancer dans ce sport, bien loin des certitudes archivistiques !
Rodez, fini avant Toussaint 2012.
Jacques Bousquet