Le Reniement de Saint Pierre
Caravage a traité ce thème « classique » avec seulement deux personnages, l’apôtre et une suivante.
Ensuite on a ajouté des groupes pour doubler la composition sur un côté, mais qui a commencé ? Papi parait proposer que ce soit une invention (une de plus) du jeune Ribera. Mais je trouve la même formule dans trois tableaux de Nicolas Tournier (français), à Atlanta, au Prado (repris dans C p.55 et fig 28), et dans une collection privée.
Le Reniement de Saint Pierre, Nicolas Tournier, Atlanta
Le Reniement de Saint Pierre, Nicolas Tournier, Prado
Dans un, saint Pierre est à droite, il est à gauche pour les deux autres. Bien évidemment, les gardes autour d’un feu s’associent très bien au thème des groupes de buveurs et de soldats, essentiel dans toute l’école caravagesque et il est impossible d’en tirer une date.
La comparaison du Reniement de St Pierre de la Galerie Corsini à Rome (C n° 26, p. 149), avec le Jugement de Salomon me parait très plausible, comme à Longhi, avec pourtant un effet de nuit très accentué, bien opposé au fond des apôtres Gavotti, et encore plus aux autres.
Ce tableau n’a jamais quitté Rome et a fait peut-être partie de la collection Savelli.
La servante qui montre saint Pierre du doigt, dans le Reniement, a une sorte de bonnet ou un mouchoir noué, qu’on retrouve avec la même physionomie pour une femme curieusement placée au milieu d’un autre tableau du Maître, Jésus et les Docteurs de la Loi
Jésus et Les Docteurs de la Loi
Jésus et les Docteurs de la Loi, Eglise Saint Martin, Langres, C p. 45, fig 20
On peut accepter sans peine la comparaison avec le Reniement : même obscurité dont se détachent les feuilles blanches que le érudits compulsent.
La présence d’une femme au milieu des docteurs parait incongrue. La grosse colonne cannelée derrière elle est sans justification, sinon le même rappel de l’Antique que pour le Jugement.
A droite, un homme musculeux dont on voit le dos à moitié nu rappelle également le bourreau du Jugement.
Tout à droite, on trouve une tête de vieiilard complètement chauve qui se rapproche de l’apôtre Barthélémy de la série Gavotti, mais sans les effets de couleur.
Je suis très admiratif pour la composition en oblique avec les feuilles blanches, et l’astuce de donner à l’enfant le geste du discuteur, paume en avant pour s’imposer, tandis que son bras gauche disparait dans la « toge ». L’originalité et la qualité sont indiscutables.
Ici, l’Enfant Jésus est tout jeune, avec un visage poupin et il regarde vers le spectateur.
Je ne trouve ainsi aucun lien avec le même sujet traité par Ribera :
Jésus et les Docteurs de la Loi, Ribera
Ribera, dans son tableau napolitain, a figuré un adolescent en robe rouge vu de profil en face des savants penchés sur leurs livres énormes et écornés à plaisir. Aucun lien possible.
La Résurrection de Lazare
La Résurrection de Lazare, Prado, Madrid
La pièce maîtresse de l’expo de Madrid et ensuite de Naples a été la grande toile (171 / 289 cm) de La Résurrection de Lazare (C. n° 36 et p. 79), à laquelle a été consacrée un long article de Javier Portus (p. 61 – 77) avec le texte de l’évangile de Jean, le seul à raconter le miracle.
L’histoire récente du tableau explique tout le développement de l’hypothèse sur le « jeune Ribera ». Il a été présenté en janvier 2001 à New York à la galerie Sotheby, sous l’étiquette Ribera, et les patrons du Prado ont fait acquérir l’oeuvre en 2003.
Dès 2002, Papi avait proposé cette hypothèse qu’il avait déjà soutenue en 1988 pour former un corpus autour du Maître du Jugement de Salomon. Il n’a eu qu’à persévérer dans toute une suite d’articles pour finir par convaincre, d’abord les espagnols (fierté nationale oblige), et ensuite presque tous les autres.
Il y a le problème de l’origine (C p. 77, n. 1) : dans l’inventaire de la chapelle du palais royal de Madrid de 1686 figure une Résurrection de Lazare de Ribera, avec son cadre noir. Moi, je voudrais bien savoir s’il n’y a pas d’inventaires postérieurs ou de descriptions de la chapelle après cette date et jusqu’à nous. Je pense aux pillages napoléoniens et au maréchal Soult, mais il a bon dos !
Que dire de la présentation des dix figures à mi-corps, le Christ au milieu entouré de barbus (dont Lazare, qui a la barbe peu fournie et pointue). Madeleine n’est visible que de dos, avec sa chemise blanche, devant la tête de Marthe voilée de bleu sombre. Tout est noyé dans un fond obscur qui rappelle bien celui du Reniement de Pierre (seul tableau reproduit avec la Résurrection pour illustrer l’article de Papi dans B p. 36).
Portus donne des photos de détail qui montrent la qualité indiscutable, et même des radiographies. Il rapproche des oeuvres italiennes de Giotto, Sebastiano del Piombo et Girolamo Muziano, qui n’ont aucune relation. De même aucune relation avec le tableau de Caravage en 1609 à Messine.
Ici l’effet d’obscurité est accentué (le sujet le comportait) et le corps du mort torse nu est présenté en oblique Rien à voir avec le tableau de Madrid, et le tableau de Caravage n’ayant n’ayant jamais quitté la Sicile, Ribera n’a pu le voir.
Je refuse d’aller plus loin, donc, et préfère penser qu’il y a eu deux grands artistes anonymes, entre d’autres.
Celui qui a peint le Jugement de Salomon et les cinq Apôtres Cussida (les seuls existant en groupés dès le XVII°) est certainement distinct du peintre de la Résurrection de Lazare, le Reniement de Pierre assurant seulement un rapprochement.
Il y a eu un autre peintre, ou plusieurs, plus quelconques, pour la série des Apôtres au « cartellino ».
Et s’il s’agissait de voisins de la via Margutta, ayant travaillé ensemble en utilisant la même servante, qui n’ a rien de la courtisane vénitienne qui selon les Stati d’Anime vivait avec Ribera ?
Je finis ainsi dans la prudence, refusant toute « mondialisation » d’un seul et unique génie pour toutes ces oeuvres.