2 Le Jugement de Salomon

Publié le 28 octobre 2012 par Albrecht

Le Jugement de Salomon

Jugement de Salomon, Poussin

Ce  tableau est daté de 1649, et Poussin le tenait pour une de ses meilleures oeuvres, sans doute à cause de la symétrie entre les personnages gesticulant autour du roi sur son trône, de face au milieu.


Jugement de Salomon, Valentin

Valentin l’a mis aussi au milieu, mais tourné vers la gauche, et c’est là que l’a placé le « Maître », reprenant une composition de Raphaël.


Jugement de Salomon, galerie Borghèse

Voici donc le tableau de la galerie Borghèse (C  N° 4), qui a donné son nom au « Maître du Jugement de Salomon »

Composition « en carré » par le prolongement des bras tendus du roi, d’une des femmes et celui du bourreau penché vers l’avant. A droite, un spectateur vertical vient caler l’ensemble, qui ne ressemble absolument pas à l’oeuvre d’un débutant (ni à celles de Ribera plus tard !).


Le trône à la patte de lion

Je m’attache d’abord à quelques détails. En premier, la patte de fauve griffue traitée « au naturel », seule partie visible du siège du souverain. Poussin mettra en dessous un socle de marbre avec des motifs de griffons (symboles de la Justice).


Valentin figurera, dans le jugement de Suzanne un véritable trône en menuiserie, avec toujours des animaux.


Les éléments architecturaux

Au-dessous du trône, un socle rectangulaire avec un bas-relief illisible (on a parlé de la mort de Penthée), et par derrière toute une architecture coupée verticalement par le cadre et qui comprend la colonne, sa base et le soubassement, dessinés avec raideur mais fortement soulignés par les ombres voisines.

Aparté : Ribera et l’architecture
D’une part, je voudrais noter que Ribera n’a jamais (au grand jamais) ajouté des éléments d’architecture à ses peintures. Un seul exemple, la communion des apôtres de 1651 à la Chartreuse de San Martino (Oeuvre, n°207 et p. 124). Il y a là une série d’arcades avec voûtes d’arêtes, peut-être ajoutées par un spécialiste, les architectures constituant alors un sujet complet, et j’en avais réuni quelques exemples au musée de Rodez.

D’autre part, il y a une vogue au XVII° siècle pour les fonds garnis d’éléments à l’antique ou de ruines, à preuve de nombreuses gravures ou frontispices.

Architecture, Tortebat, 1664

Je me demande si pour certains artistes il n’a pas servi encore de preuve d’avoir séjourné en Italie pour étudier les témoignages de la vénérable « Antiquité ».

L’influence de Raphaël

Il faudrait insister sur les ressemblances avec deux oeuvres de Raphaël.


L’une (ci-dessus) fait partie du plafond des « Stanze » du Vatican.


L’autre (ci-dessus) a été encore copiée par Blake vers 1800.

Elle fait partie de la série gravée par le français Nicolas Chaperon et publiée en1649.

En tête de cette série, Chaperon s’est représenté assis près du buste de Raphaël posé sur un piédestal.

Le personnage de Salomon

Je note d’autres parallèles pour la composition et pour le détail.

Pour le personnage de Salomon, le « Maître » a choisi de figurer un vieillard parfaitement chauve, alors que Poussin, Valentin et la plupart sur le même sujet prennent un homme jeune ou d’âge moyen.

Ainsi Valentin, encore pour son Jugement de Suzanne, qui place aussi le roi à gauche. Et il a une petite couronne de pointes triangulaires qu’on trouve chez Raphaël et chez le « Maître ».

Parallèles avec Vouet

Nous avons encore au Louvre des dessins de Vouet pour une « tapisserie royale » avec le même sujet (il existe une gravure de Tortebat reproduisant cette tapisserie).

Salomon tend le bras avec  le même mouvement.

On a encore deux dessins avec une bébé tenu par un pied tête en bas, et un autre couché par terre, c’est à dire les mêmes positions que pour le « Maître », et pour l’ »Urbinate » (pour faire pédant). Je n’ai pu consulter le catalogue des dessins de Vouet par Barbara Brejon.


Les détails caravagesques

Après les détails qui « font classique », il y en a d’autres encore plus nettement « caravagesques », les pieds de la femme à genoux dont on voit le dessous, les têtes en raccourci et surtout des visages de vieux barbus derrière Salomon (presqu’invisibles, et c’est volontaire) et deux autres autour de la tête d’un troisième, jeune, qui, lui, est en pied et ferme l’ensemble à droite.

Le jeune homme de droite

Il porte une grande draperie sur son bras gauche, exactement comme une toge romaine ! Ce jeune homme vu de profil, traité avec une précision photographique, a été repris en demi-figure pour un des cinq apôtres achetés par Longhi en 1916 à la « casa Gavotti », c’est à dire chez le marquis de ce nom, descendant d’une famille connue à Rome depuis le début du XVII° siècle,  les  tableaux étant toujours restés chez eux.

C’est une copie si évidente qu’elle ne peut être que de la même main, et c’était devenu une des plus belles pièces de sa collection. A ce titre, elle a été reproduite avec d’admirables photos dans les catalogues de la Fondazione Longhi », dont celui de l’exposition  de novembre 2009 à mars 2010 à Padoue, « Caravaggio, Lotto, Ribera, quattro secoli di capolavori… (n° 31), avec une notice de Gianni Papi.


Les attributions du Jugement

Je reviens à Papi pour le Jugement, qu’il étudie longuement, mais je ne retrouve pas mes observations, seulement le relevé de toutes les attributions, si diverses qu’on pourrait en conclure à l’ignorance de tous.

Parmi les « modernes », depuis Voss en 1910,on a parlé de Massimo Stanzione (un napolitain) ensuite Longhi a parlé d’Orazio Gentileschi, puis de Guy François (français), pour arriver à « un français vivant à Rome vers 1615« , en soulignant les aspects « rationalistes » qui font penser à Valentin, Poussin et Douffet, « pas du tout aux hollandais d’Utrecht ou aux flamands à eux liés ».

C’est depuis 2002 que Papi a parlé de Ribera, en affinant sa position par des articles annuels ou plus fréquents même. Il a été suivi par Mme Danesi Squarzina, contre Spinosa qui a fini pourtant par se rallier. Alessandro Zuccari a proposé « non sans surprendre et sans aucun vrai élément stylistique à l’appui », le nom d’Angelo Caroselli, tandis que Marco Gallo en 2010 le suivait, en séparant toutefois les apôtres, qu’il juge de plusieurs mains (ce sera aussi mon avis).


Les attributions dans les inventaires Borghese

L’important serait de pouvoir suivre la tradition de la famille Borghese, et j’avais noté au cours de mes recherches que dans les inventaire de collections du XVII°, on se réduisait très vite à quelques noms célèbres, ou on restait dubitatifs.

Pour les Borghese, on ne commence qu’avec un inventaire de 1693, qui nomme Lanfranc (le nom fourre-tout que j’ai retrouvé pour le saint Barthélémy de Mellin). En 1700, on parle de Guerchin et en 1790 de Passignano, maintenu jusqu’à Adolfo Venturi vers 1900. Pourtant, l’oeuvre n’a jamais quitté la famille Borghese, jusqu’à ce que son « casino » du Pincio devienne la Galerie publique portant son nom.


Le cardinal Scipion Borghese

Les joyaux de ce musée sont, pour la sculpture, les oeuvres de Bernin, et en particulier le buste du cardinal Scipion, neveu du pape Paul V et son premier ministre, grand amateur d’art et collectionneur, bon vivant si on en juge par son visage joufflu et qu’on devine rubicond.

Il pourrait avoir acheté (ou commandé) le Jugement, et Papi le propose avec discrétion. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’on ait négligé tout de suite le nom du peintre, sans penser à Ribera alors qu’il était devenu célèbre et sans que celui-ci assure le moindre effort pour retitrer sa production de jeunesse. Et c’est si peu une oeuvre de jeunesse ! Et il n’est jamais revenu dans cette voie.