Dans nos sociétés complexes où l'information circule en flot continu, on peut observer ce fait indéniable : il n'y a aucun rapport, aucun lien entre le développement durable et la crise économique.
La crise économique est un sujet récurrent dans les médias depuis 2008: elle (pré)occupe le personnel politique, les médias, les économistes et les citoyens qui en entendent parler tous les jours. Crise des subprimes, crise de la dette, chômage croissant, ralentissement dans les pays émergents, elle est partout, sous des formes diverses.
Les intellectuels tentent de l'analyser avec les grilles du passé: crise de 29, crise de 73, déclin de l'Empire romain. Le consommateur et le chômeur font le dos rond en attendant qu'elle passe. Le journaliste et l'expert guette la reprise. Car, la crise est, par définition, cyclique. Elle est condamnée à disparaître. Chacun attend sa fin. Chacun guette le taux de croissance, le seul indicateur important.
Personne ne fait le lien entre la crise et le développement durable. Il s'agit de deux mondes, deux champs de réflexion qui n'ont rien à voir.
Le développement durable est un sujet qui préoccupe moins de gens: les géographes et les écologistes essentiellement. Elle est pourtant au programme de tous les collégiens et lycéens de France. Dans les manuels de géographie et dans les livres qui lui sont consacrés, on parle de biodiversité, du cycle de l'eau, de l'avenir énergétique. On y réfléchit à la préservation des ressources, à la satisfaction des besoins des populations. On cherche les liens entre société, économie et environnement.
Le développement durable suppose de prendre de la hauteur par rapport aux convulsions du monde, de regarder la planète du haut d'un hélicoptère, comme le fait Yann Arthus-Bertrand, de scruter l'évolution des paysages. Le développement durable regarde vers l'avenir. Il tourne le dos aux crises actuelles et imagine un monde meilleur à l'échelle des décennies à venir.
Les deux concepts, les deux réflexions évoluent chacune de leur côté, sans jamais se joindre, comme si le développement durable n'avait rien à voir avec le taux de croissance, comme si la crise économique était un phénomène sans aucun rapport avec l'idée de développement.
Deux systèmes de pensée, dominés pour l'un par les économistes, pour l'autre par les géographes. Deux manières de regarder notre monde et notre planète. Deux mondes qui s'ignorent.
Et pourtant, dans les raisonnements des uns et des autres, le lien -ténu- est là: les économistes évoquent le coût croissant des ressources comme un facteur explicatif -parmi d'autres-. Le développement durable considère l'économie comme un champ d'analyse en interrelation avec d'autres champs de réflexion.
Personne ne fait cependant un lien direct, n'esquisse une relation analogique entre ces deux univers. Personne ne voit la crise actuelle comme un échec du développement durable. Personne ne cherche à comprendre le lien puissant entre l'offre déclinante de multiples ressources et la demande croissante de ces mêmes ressources. Personne n'envisage le ralentissement généralisé de l'économie mondiale, la crise durable que nous vivons comme un processus qui puisse avoir ses racines dans les tensions qui -partout- augmentent sur la planète entre des ressources insuffisantes pour des populations en demande de consommation.
La récession s'étend, le ralentissement économique se généralise. Et ce processus en cours n'est que le premier écho d'un échec d'un développement durable espéré. La crise sera durable. Les économistes, aveuglés par le décollage économique des pays émergents depuis une décennie, ne le voient pas.