La version de 1625 de Nicolas Régnier nous propose, trente ans après l’introduction du thème à deux voix par Caravage, et en même temps que la version à quatre voix de Valentin, un autre quatuor particulièrement sophistiqué.
La diseuse de bonne aventure
1625, Nicolas Régnier , Louvre, Paris
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Un quatuor
Nous retouvons presque les mêmes personnages que dans le tableau de Valentin : une belle gitane, un homme à plumet, une vielle gitane voleuse qui est sans doute la mère de l’autre. Sauf que le quatrième personnage, le naïf, est ici une belle dame, contrairement à ce voudrait la logique de l’alternance hommes-femmes. Et c’est tout ce qui fait l’intérêt de cette très exceptionnelle version.
Le rapport de force
L’analyse du rapport de force confirme le caractère très original du tableau, et renvoie des conclusions contradictoires.
D’un côté, la naïve, par sa position assise, se trouve bien en position d’infériorité par rapport aux trois autres comparses. Mais cette infériorité est contrariée par sa présence massive, qui occupe exactement la moitié de la surface du tableau, sous la diagonale montante. Fermement appuyée du coude contre la table, elle ne donne guère l’impression d’être menacée : c’est plutôt elle qui compresse les trois autres dans le coin supérieur gauche du tableau.
Intérieur ou extérieur
Le décor est ambigu : la colonne suggère une scène d’extérieur, le tapis et la table une scène d’intérieur. Disons que nous sommes sous un portique.
Lignes de fuite
Le socle de la colonne et l’arête du tapis permettent de construire une perspective (le point de fuite se trouve sur le bord gauche du tableau, un peu au dessus de la médiane horizontale). Mais il n’en résulte aucune sensation de profondeur : la lecture reste frontale.
Le véritable rôle de ces lignes de fuite est autre : focaliser l’oeil du spectateur sur le sujet officiel – la main de la diseuse – en laissant à l’écart le sujet occulte : la main de sa mère, dans l’ombre, qui soulève délicatement le cordon de la bourse.
La composition déséquilibrée, la posture de la « naïve » qui loin de se trouver en retrait semble au contraire dominer la situation, donne une impression d’incorfort sémantique. Nous sentons que le sujet officiel – une jeune femme riche dépouillée par deux gitanes – n’épuise pas les significations du tableau.
Campée dans son bouillonnement de velours et de tulles, la « naïve » est bien plus que le prétexte à une splendide étude de tissus :
c’est une star !
En déplaçant la bonne vieille opposition – fille rusée contre garçon immature, sur le terrain d’un duel de dames, Régnier introduit un élément d’incertitude qui renouvelle puissamment le thème : le combat n’est pas gagné d’avance, la victoire n’est peut être pas du côté que l’on croit.
Un schéma résume ce que nous savons pour l’instant du tableau :