La Réunion dans un cabaret nous montre un thème proche de celui de la Diseuse de bonne aventure : un jeune homme détroussé par une gitane, non plus en plein air, mais dans l’obscurité d’un bouge. Ici, on n’amuse pas les gandins par de belles paroles et de flatteuses prédictions :
on les endort avec de la musique, on les engourdit avec une lourde tourte et du vin.
Réunion dans un cabaret
Valentin de Boulogne, 1625, Louvre, Paris
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Le rapport de force
Horizontalement, la composition en quatre bandes est plus équilibrée que celle de La Tour : un homme, une femme, un homme, une femme.
C’est verticalement que se lit l’infériorité du jeune homme : il penche la tête, au milieu des trois adultes qui le guettent.
L’entraîneuse
La fille à la poitrine avantageuse pose son bras droit sur l’épaule de l’homme qui sert à boire : geste de familiarité qui trahit, maintenant que le nigaud est engourdi par le vin, la complicité entre l’entraîneuse et son protecteur. Le geste interrompu de sa main gauche, tenant en l’air ce qui semble être un bout de gâteau, peut être compris comme un signe qu’elle donne à sa complice la gitane : « Tu peux y aller, il est mûr ».
L’instant ironique
Le garçon joue du pipeau. C’est l’instant où il est « pipé ».
Le pipeau
Souvent, dans les scènes de genre, la musique est une métaphore du plaisir des sens ; et la flûte, un symbole grivois.
Ici, la position centrale du pipeau, seul instrument de musique de l’étrange solo, exacerbe cette valeur symbolique. D’autant que la diagonale montante réunit l’instrument et les deux verres de vin, celui de l’homme et celui de la gitane, qui ont remplacé, pour le jeune homme, le plaisir plus intense qu’on lui avait fait miroiter : la tourte éventrée, à proximité immédiate, en donne d’ailleurs une image parlante.
Remarquons enfin la dague, à la ceinture de l’homme mûr, qui fait contraste avec le pipeau du jeune homme, et renvoie d’autant plus celui-ci à sa valeur de substitut infantile.
La « légende vivante »
Le Joueur de pipeau serait pour l’oeuvre le titre le plus pertinent. En effet, le jeune aventurier, réduit par la malignité des trois adultes à une activité clairement auto-érotique, joue dans le tableau le rôle de ce que nous pourrions appeler une « légende vivante », une sorte de calembour visuel : « jouer du pipeau » signifiant à la fois « produire de l’air » et « se contenter de soi-même ».
Par contraste avec les deux oeuvres précédentes, ce sont ici les objets qui permettent d’élucider l’histoire :
- la tourte éventrée suggère l’acte espéré ;
- la dague montre où se trouve la virilité réelle ;
- le couteau sur la table pointe vers la victime désignée ;
- le pipeau résume son impuissance, dans tous les sens du terme.
Nous retiendrons que, face au jeune flûtiste, les trois personnages sont de mèche : celui qui tire les ficelles, celle qui a servi d’appât, et celle qui commet le larcin.