Sidi Larbi Cherkaoui chorégraphie et met en scène des questions philosophiques fondamentales: si à chaque période de l'humanité, nous en construisons le destin, en sommes-nous seulement conscients, en sommes-nous responsables? Le plus souvent, les danseurs semblent mus par des mécaniques qui les dominent. Une courte video projetée sur un pan de mur proposera une clé métaphorique: si l'être humain est un assemblage complexe de chromosomes, y a-t-il place pour l'expression d'une liberté? L'humain et le monde se font et se défont au gré des générations.
La question de la liberté individuelle est posée: les danseurs sont le plus souvent pris dans la mouvance de leurs extraordinaires contorsions où se lisent les douleurs et les éclatements, l'automatisation et l'absence d'un regard distancié et réflexif. Il est rare, bien que cela se produise, que les danseurs semblent décider et avoir l'initiative de leurs destinées. Mais les mouvements d'ensemble sont d'une étrange beauté, comme si une force supérieure était à l'oeuvre et que nous faisions partie d'un ensemble plus vaste dont nous ne comprenons pas l'intelligence. L'humanité de Sidi Larbi Cherkaoui, malgré sa douleur et ses souffrances, ne semble pourtant pas désespérée, et, à la fin du spectacle, quand tout semble disparaître, apparaît un albinos diaphane porteur d'une étrange lumière.
Il y a de l'orientalisme dans cette lecture de l'humanité et du monde soumis à la loi de l'impermanence. L'intitulé du spectacle, Puz/zle, lui-même morcelé, donne une clé: le mot puzzle en anglais ne signifie pas uniquement un jeu de casse-tête, il signifie aussi l'énigme, le mystère, et la perplexité. Sidi Larbi Cherkaoui s'est fait mystagogue pour nous donner à voir, et à réfléchir, la représentation d'un mystère dont il ne nous donnera pas la clé ultime mais qu'il met en lumière dans les différentes facettes, en les construisant puis en les déconstruisant.
Une des clés de lecture du spectacle se trouve peut-être dans le chant du rituel tibétain de la Tara verte, la psalmodie du Om Tare Tuttare Soha: Tara, déesse tibétaine de l'amour compassionnel nous libère de la souffrance physique comme morale et de la peurs. C'est la voie du coeur, qui est peut-être le chaînon manquant, la pièce manquante du puzzle. Et d'ailleurs, après que les danseurs aient lapidé l'un des leurs dans une fosse, après qu'ils aient menacé le public de le lapider, l'un d'entre eux fait face au public avec dans le creux des mains une pierre en forme de coeur. Bien sûr sa pierre-coeur s'effrite et tombe en morceaux, mais la voie de l'amour a été ouverte.
Sidi Larbi Cherkaoui ouvre de nouveaux horizons et trace de nouvelles perspectives dans l'histoire de la danse et ses spectacles nous transportent et nous transforment. C'est ce qui est important, was wichtig ist, pour lui, pour Eastman, et pour le public munichois.
Photos: Koen Bros Suivre East-man sur internet: cliquer ici
Le Festival DANCE 2012 a lieu à Munich jusqu'au 4 novembre.