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Quand la crise exalte les rancoeurs, on ne sait jamais où ça va commencer ni comment ça va finir.
La haine apparaît ainsi là où on ne l’attendait pas. Elle s’est manifestée à Pauillac, grand cru classé du Médoc, qui vient de connaitre ses premières violences villageoises.
Cette petite bourgade rurale où le FN est fortement implanté est devenue un champ de bataille entre ouvriers agricoles Espagnols d’origine sahraouis et franco-marocains.
« Tout le monde se méfiait du plombier polonais. Personne n’avait vu venir le vendangeur sahraoui!
Pauillac est une petite bourgade paisible d’un peu plus de 5.000 âmes, sur les bords de la Gironde dans le nord-Médoc, où il fait bon s’ennuyer. Mais elle est surtout connue pour ses grands crus du Médoc. La commune compte 78 viticulteurs, dont une bonne moitié est composée de grands et riches propriétaires, voire très grands et très riches. En face, peu de classes moyennes, peu de commerces, mais une multitude d’ouvriers agricoles dont certains n’ont même pas les moyens d’avoir une voiture pour aller travailler. Le chômage touche 15% de la population active.
Depuis quelques dizaines d’années, une communauté marocaine a fait souche à Pauillac. Elle trime dans les vignes pour de bas salaires. La deuxième génération est devenue française de naissance. Sans grand avenir entre océan et estuaire, dans une région où il n’existe que la vigne et la forêt.
« Petits blancs » et aristocratie du vin
Cette dernière a été balayée par les tempêtes de 1999 et 2009. Pourtant, elle n’est toujours pas nettoyée. Les locaux n’ont pas voulu ou su prendre la hache, la serbe et la tronçonneuse. Il a fallu faire venir des bucherons turcs du Limousin. Mais pas assez nombreux, il n’ont fait qu’une partie du travail, préférant retourner dans d’autres forêts où les sylviculteurs étaient plus accueillants.
Dans de telles conditions socio-économiques, il n’est pas étonnant que le Front national ait obtenu ici ses meilleurs scores du département au printemps dernier: bon nombre de « petits blancs » coincés entre l’aristocratie du vin et les immigrés ont voté pour le FN.
Dans ce contexte fort peu idyllique, le lointain conflit du Sahara occidental, en relatif sommeil depuis 1991, a ressurgi brutalement là où ne l’attendait le moins. A Rabat, Nouakchott, Alger, Madrid, Paris ? Non, à Pauillac!
Le 12 octobre dernier, le tribunal de Bordeaux a condamné une demi douzaine de franco-marocains à des peines allant jusqu’à cinq mois de prison avec sursis pour violence aux personnes, destruction de véhicules et de maisons. En effet, pendant deux nuits (3-4 octobre), la petite bourgade tranquille s’est transformée en champ de bataille entre des jeunes pauillacais d’origine marocaine et une centaine d’ouvriers agricoles de nationalité espagnole, mais originaire du Sahara occidentale ou Rio de Oro, colonie espagnole de 1884 à 1975, dont 80% du territoire a été annexé unilatéralement par le Maroc.
Défendre des emplois précaires
Si en Gironde plus de 80% des vendanges sont désormais mécanisées, les grands crus du Médoc récoltent encore à la main. C’est donc la communauté franco-marocaine locale qui chaque année manie le sécateur. Mais, il manque toujours des bras et depuis la crise qui frappe l’Espagne voisine, les Espagnols reviennent massivement. Les vignerons français les préfèrent car ils ont de l’expérience et travaillent dur.
Certains ont même de la famille installée en Aquitaine depuis plusieurs générations. Mais Madrid et les sociétés d’intérim françaises faisant les intermédiaires, ont pris soin d’oublier de préciser que les ouvriers agricoles étaient en réalité des Sahraouis naturalisés Espagnols.
Le 3 octobre au soir les Sahraouis rejoignent la petit salle de prière locale. Certains portent des tee-shirts « Sahara occidental libre ». Il n’en faut pas plus. Une bagarre éclate entre les deux communautés. Deux personnes finiront à l’hôpital. Les voitures et appartements des Sahraouis sont vandalisés par les Franco-Marocains.
La crise aiguise les rancœurs
Le lendemain, un hélicoptère de la gendarmerie tourne au dessus de la petite ville, d’ordinaire si tranquille, une partie de la nuit. Finalement les gendarmes décident de déporter les Sahraouis dans un camp à Montalivet, près de l’océan, non pas pour faire du naturisme, mais pour éviter d’autres échauffourées.
Agé de 22 ans, Mohamed Salem, Sahraoui habitant à Séville, expliquait au quotidien Sud-Ouest :
Avant, j’ai travaillé dans la pomme, à Montauban. Il y avait aussi des Marocains locaux, mais cela se passait très bien. Ici, à Pauillac, on ne sait pas pourquoi, ils nous attaquent ».
Et un franco-marocain de répondre :
Les Sahraouis nous ont provoqué. Il était obligatoire d’aller se battre pour défendre notre ville ».
Ou plutôt défendre un emploi de plus en plus précaire. Pour Selman Khendud, autre Sahraoui:
Je suis ami avec des Franco-marocains de Pauillac. Mais ils m’ont quand même cassé ma voiture avec des barres de fer. Ils nous reprochent de travailler illégalement. Mais ce n’est pas vrai, je peux vous montrer mon bulletin de salaire. En revanche, ceux qui s’en prennent à nous travaillent parfois au noir dans les vignes ».
La crise économique et sociale, grave en France, terrible en Espagne, aiguise les rancœurs entre ceux qui n’ont plus grand-chose à se partager. Pourtant, de Tanger au nord de la Mauritanie, les populations arabo-berbères ont la même histoire, la même culture. Parfois les tribus du sud dominaient celles du nord, parfois l’inverse. C’est le colonialisme franco-espagnol et les enjeux géopolitiques inter-Maghrébins qui ont séparé ces deux communautés, jusque dans le Médoc. «
Source: Myeurop