À la dette visible de l’État français, il faut ajouter la dette invisible, ou dette implicite, qui correspond aux engagements des régimes de sécurité sociale.
Par Acrithène.
Dans mon dernier article sur la dette publique, je vous expliquais qu’au regard des précédents historiques, lorsqu’une économie avancée voit sa dette s’élever au-dessus de 90% de son PIB, elle met en moyenne un quart de siècle à redescendre sous ce seuil. Mais c’est sans compter sur l’énorme dette implicite qui pèse aujourd’hui sur l’Europe des vieux et qui viendra s’ajouter à la dette comptable au cours des 25 prochaines années avec l’explosion du papy boom.
D’après la BCE, avant le début de la crise financière (2007), la somme des dettes explicites et des obligations implicites de la sécurité sociale de la zone euro avoisinait les 400% du PIB, contre 170% aux États-Unis. Voyons de quoi il s’agit…
Les statistiques comptables de la dette publique ne révèlent en effet qu’une petite partie des engagements financiers futurs auxquels sont assujettis les États. Cela ne vient pas d’une manipulation de compte, mais du fait que la comptabilité, à la différence notable de la finance, se concentre sur le passé et l’explicite.
La dette publique comptable vient de l’accumulation des dépenses passées de l’État qui n’ont pas pu être couvertes par les recettes publiques. Ce déséquilibre a été temporairement pris en charge par des épargnants, qui ont obtenu en retour une créance sur l’État, obligeant ce dernier à leur verser dans le futur une compensation financière (la somme initiale augmentée des intérêts). C’est ce que référence correctement la comptabilité et qu’on peut qualifier de dette explicite.
Tous les jours, l’État accorde aussi des dettes implicites. Par exemple, lorsqu’il prélève de votre salaire des charges sociales pour payer les retraités, il ne vous accorde pas en retour une créance explicite, statuant d’un échéancier précis pour le remboursement de cette avance. Cependant, si vous acceptez ce système, c’est parce que vous croyez que ce don à l’État fait naître une créance implicite, à savoir votre droit de recevoir une pension dans plusieurs années. La cotisation retraite n’est en ce sens pas un impôt comme les autres, il a une dimension tacite sur les budgets futurs de l’État. C’est un impôt à rembourser, donc une forme de dette.
Pour l’économiste, les dettes implicites et explicites sont fondamentalement similaires : elles sont des obligations de rembourser de l’argent. Leurs différences se limitent principalement à leur clarté comptable et à leur forme juridique, mais elles impactent d’une même manière le futur des comptes publics. D’ailleurs, avec le temps qui passe, les dettes implicites se matérialisent (des actifs demandent leur retraites), et sont alors affectées à la dette explicite.
Ce qu’en France on appelle le « système par répartition » pour souligner la notion de partage, les manuels d’économie l’appellent « unfunded system » et l’opposent au « funded system », qu’on appelle aussi en Gaule « système par capitalisation », pour en montrer la perversité financière. Les mots anglais sont bien plus adaptés, car ils résument simplement la différence fondamentale des deux systèmes. Dans le système funded, l’argent nécessaire au paiement des futurs retraités est mis de côté au fur-et-à-mesure que naissent et grandissent leurs droits à la retraite. Dans le système unfunded, l’argent nécessaire n’est récolté qu’au moment où l’obligation de payer se manifeste. Que le système unfunded soit perçu comme plus prudent par l’essentiel de la population tient des miracles de la politique.
Donc quand existe un système unfunded, il n’existe pas d’actifs dédiés au financement futur des obligations financières implicites de l’État. Il s’agit d’une dette totalement nette. L’argent qui permettra de l’honorer n’existe pas encore, et devra être prélevée plus tard, exactement comme la dette explicite.
Pourquoi cela nous intéresse-t-il ? Parce que les dettes implicites de l’État sont colossales. Mais aussi parce qu’elles sont assez différentes d’un pays à l’autre, ce qui fait de la dette explicite un mauvais instrument de comparaison internationale.
Comme je l’ai expliqué, la dette implicite ne figure pas dans les comptes de l’État. Il faut donc s’appliquer à réaliser une analyse financière sérieuse pour la chiffrer. Cela explique pourquoi je n’ai pas de chiffres tout frais à vous offrir. Par ailleurs, le montant de la dette implicite est incertain, il dépend de variables démographiques (durée de vie), de variables politiques (âge de départ à la retraite)… ce qui explique pourquoi je vous donne des estimations qui peuvent varier d’une source à l’autre.
Les tableaux qui suivent représentent une estimation des obligations financières des États au regard des cotisations retraites déjà perçues (et qui n’ont pas été capitalisées).
Enfin, pour voir pourquoi la dette implicite s’explicitera dans les décennies à venir, il suffit de regarder une pyramide des âges de la France (une des moins inquiétantes d’Europe)…
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Sur le web
Voir aussi :
Pour une comparaison analytique des systèmes de retraite : Retraites : pourquoi les jeunes devraient manifester POUR la réforme !
Sources :
- C. Müller, B. Raffelhüschen & Olaf Weddige (2009), « Pension obligations of government employer pension schemes and social security pension schemes established in EU countries », Research Center for Generational Contracts, Freiburg University
- R. Mink (2010), « Household pension entitlements under government schemes in the euro area », ECB Public Finance Workshop, European Central Bank