J’ai assisté cette après midi à ta messe d’enterrement et pendant ces longs moments, dans la foule et dans ma solitude j’ai repensé à notre histoire ! Tu vois je t’ai tutoyé alors que nous nous abordions toujours en tenant nos noms par un très solennel Monsieur, et que nous nous disions « vous » !
Quelle est triste cette église avec ses hamacs de moustiquaires sales pour lutter contre les pigeons… Quelle est triste et pas digne de toi, pas digne de nous… Surtout pas digne de ton sourire.
T’en souviens-tu ami de nos brefs échanges, un regard, un sourire… quelques mots à peine échangés entre collègues du Port et cela nous suffisait pour que naisse quelque chose de bien mystérieux… un sentiment… je n’ose pas dire une amitié…
Et c’est sans doute ce sentiment partagé qui t’amena un jour à me demander un service… Malgré mes efforts incessants je ne suis pas arrivé à te le rendre… Tu ne m’en as pas voulu bien au contraire, ton sourire n’aura jamais cessé d’être le même… Et sans que je ne le sache encore tu m’offrais un bien beau cadeau dont toi et quelques rares autres personnes connaissent la richesse.
Rien n’aura pourtant changé dans nos rencontres au fil des occasions… De temps à autres quelques mots, quelques nouvelles, quelques bribes d’informations qui m’apprenaient un peu de toi et de ta famille.
En écoutant ce beau témoignage filial, lu en chair d’une voix forcée, à la fois forte et émue, j’ai soudain regretté que nous ne soyons pas allés un peu plus loin que nos sourires. Ils nous suffisaient sans doute, mais peut-être qu’une de tes fêtes, ou une partie de domino… Non ! Il me suffisait en traversant ta commune de savoir que là dans cette petite rue adjacente, une maison portant la même adresse que la mienne existait un beau sourire amical. Et sans jalousie aucune, mais avec émotion, j’apprenais que tu avais été pour les tiens bien plus qu’un sourire…
Un jour je me suis retrouvé avec toi et un de tes voisins ! Vous parliez tous les deux très fort, de votre expédition sanitaire du matin… je vous écoutais et vous m’initiez, mine de rien, de vos connaissances de vétérinaires de nos campagnes. J’ai aimé ce moment et ces détails croustillants entrecoupés de solides rasades de punch sec presque imbuvable pour moi ! Mais ton sourire et la gaieté de ton ami faisait tout passer !
Je peux t’avouer à toi que mes meilleurs souvenirs du Port ont été ces brèves rencontre avec toi et quelques autres… vous aviez tous le même regard, le même sourire, les mêmes gestes, les mêmes mots pour m’aborder, me mettre à l’aise, m’initier, en somme, moi je jeunot qui arrivait là un peu pas surprise. C’est un fait que j’ai été « embauché » au Port, mais ton sourire m’aura apporté beaucoup plus ; n’en doute pas !
Te voilà maintenant dans d’autres eaux et tu dois bien rire de ce mot que j’écris ce soir pour toi. Tu dois te dire que j’outrepasse la belle règle du sourire que nous avions adopté depuis tantôt.
Tu as raison ce mot est mon dernier sourire, mon dernier merci !