Lee Daniels avait déjà fait tiqué son monde avec Precious, son mérage précédent, qui se posait directement comme l’un des films les plus surévalués et détestables de ces dernières années. Ce nouveau métrage, aperçu au dernier Festival de Cannes, allait-il élevé le niveau du réalisateur ?
Autant le dire tout de suite, la réponse à la question introductive est rigoureusement non. Paperboy est une arnaque, une vraie, une belle, comme on n’en a pas vu depuis longtemps. Déjà, le film a été vendu comme un objet sulfureux sur des postulats qui ont fait le tour du Net via la bande-annonce, les anecdotes de tournage ou sa sélection à Cannes sur cette identité. Hélas, dans le film, ils n’arrivent pas à tenir la route de la réputation qu’il s’est construit. Nous aurait-on menti ? Nicole Kidman n’est pas non plus la bombe sexuelle redneck que l’on pourrait imaginer ; la fameuse scène d’urologie entre elle-même et Zac Efron tient plus du pétard mouillé que de la perversion assumée ; et si la fausse fellation sur John Cusack met mal à l’aise, c’est davantage par ridicule que par étrangeté. Pourtant, ces scènes sont jouées par une troupe d’acteurs compétents. Les choix dans le casting étaient diablement excitants au début, Kidman essayant d’élargir sa palette et Efron voulant casser son image de minet pour préadolescentes. Si ce dernier a l’air concerné et conscient de l’apport de ce rôle dans sa carrière, l’actrice australienne a une légère tendance à en faire trop même si elle reste convaincante. Heureusement, le reste de la distribution est à un niveau plus qu’acceptable, Matthew McConaughey en tête. Celui-ci prouve d’ailleurs que ces derniers temps, il est un acteur qui compte dans le cinéma américain. Les comédiens constituent donc la qualité première du film mais ce n’est clairement pas suffisant pour faire de Paperboy un bon métrage, tout du moins regardable.
En effet, les manquements cinématographiques sont nombreux. Si une scène collective de repas offrant un découpage consciencieux et des points de vue intelligents est à retenir, le reste du dispositif n’est pas loin de friser l’indigestion et l’indignation. Globalement, le spectateur a droit à une image crasseuse et granulée. La volonté est évidemment d’ancrer dans le corps même du film, presque physiquement, cette plongée dans le Sud des Etats-Unis chez le spectateur, entre chaleur et humidité, soleil et pluie, ville et marécage. Hélas, ce traitement est clairement galvaudé dès les premières minutes. Si la stratégie est cohérente, elle n’en oublie pas d’être vulgaire car elle est beaucoup trop voyante. Semblable à une éclaboussure, le spectateur se rend bien compte qu’il n’y a rien de naturel et que le réalisateur a bien fait exprès de surcharger son écran dans une optique de signification démesurée. Parallèlement, les plans d’ensemble qui cherchent à contextualiser l’histoire et les images plus précises qui entrent dans la psychologie des personnages sont d’une laideur incommensurable. Pire, ils ne riment à rien. La représentation oublie complètement la dimension spatiale. Champ, hors champ et profondeur sont aux abonnés absents. Les ambiances ne peuvent pas alors se développer. Il semblerait bien que Lee Daniels privilégie les données humaines.
Si l’idée de départ est bonne, à savoir laisser tomber l’enquête policière pour se concentrer sur une étude de l’atmosphère et des caractères, elle n’aboutie à rien. Le problème est que le cinéaste ne sait plus sur quel pied danser. Recomposition familiale, condition de la population noire, éveil à la sexualité, coming out homosexuel, Paperboy se veut ambitieux avec cette volonté de couvrir un maximum de thématiques intéressantes et pertinentes dans le contexte des Etats-Unis des années 1960. Hélas, tous ces aspects sont littéralement survolés. Pas de plongée, pas de cause, pas de conséquence et surtout pas d’humanité. Les personnages n’évoluent jamais et ne créent pas d’empathie avec le spectateur. Dire que leurs parcours apparaissent inutiles revient presque à un euphémisme. Ce sont des pantins. La faute revient à une représentation qui manque de lisibilité tant elle n’est que rarement pensée et travaillée en conséquence. Un jeu sur une caméra tremblotante n’est pas constructif quand on note une absence de point de vue, de géométrie, d’échelle à chaque moment. Tout, absolument tout, se situe au même niveau. La mise en scène n’éclaire donc en rien les discours que le réalisateur veut nous proposer. Il a oublié la nécessité d’un enjeu pour qu’un plan, un montage, un film vivent pleinement. Nous sommes presque devant du non-cinéma.
Quelques autres postures problématiques sont également à noter. Tout au long du métrage, le cinéaste veut nous faire croire que l’image est prise sur le vif pour un maximum de proximité avec la réalité. Il veut montrer qu’il a bien compris ses protagonistes et qu’il arrive à s’insérer dans leurs parcours. Or, cette démarche n’est pas honnête et c’est le montage qui vient nous le prouver. En effet, s’il peut rester parfois très classique pour ne pas dire sans identité, il est aussi outrancier dans ses effets. Superpositions, split screens, jump cuts sont une preuve que le monde est travesti, qu’il est calculé. Il n’y a rien de réel là-dedans. Le cinéaste veut juste nous en mettre plein la vue gratuitement. Paradoxalement, Lee Daniels se rend compte ici du pouvoir de manipulation des images. La chose est plutôt incongrue. De plus, les personnages sont souvent montrés dans des postures hardcore. Le problème n’est pas dans cette monstration mais plutôt dans le fait que ces situations arrivent gratuitement, comme un cheveu sur la soupe et sans aucune logique d’évolution. Le métrage rentre alors dans un entre-deux, une démarche schizophrène. Si l’on veut montrer du bourrin, autant y aller franchement. Pourtant, le film est parcouru par une voix-off qui tente de moraliser ces situations en les cachant. Le spectateur est alors complètement perdu non seulement par une telle voix qui dit l’inverse de l’image mais surtout par le réalisateur qui ne sait plus où se mettre.
Paperboy montre que Lee Daniels n’a aucune capacité à conduire un film proprement. A en faire trop, il ne fait rien. Nous sommes loin d’un Killer Joe, sorti récemment sur les écrans et visant à peu près les mêmes enjeux, qui offrait classe, respect et habilité.