Croci © Emmanuel Proust Editions – 2000
« A l’aube des temps, les chrétiens avaient déclaré : vous ne pouvez pas vivre parmi nous comme juifs. Au Moyen-Age, les chefs séculiers décidèrent: vous ne pouvez plus vivre parmi nous. Enfin, les Nazis décidèrent : Vous ne pouvez plus vivre ».
C’est sur ces propos que s’ouvre l’album. Leur gravité nous saisit immédiatement. Ils sont servis par un dessin réaliste en noir et blanc. Les avis sont généralement enjoués, saluant ici et là la qualité des illustrations et du scénario. Je ne suis pas de cet avis.
Il ressort des graphismes une sorte d’humidité malsaine qui colle à la peau et dont on a du mal à se défaire. J’ai refermé cet album il y a plusieurs jours, j’ai attendu un laps de temps suffisant – me semble-t-il – pour pouvoir aborder cet écrit sans aigreur superflue. Car hormis le devoir de mémoire qui sous-tend cet ouvrage, j’ai trouvé son contenu… saugrenu. Ce récit se scinde en trois temps. Dans un premier temps, le lecteur est accueilli par un couple d’anciens déportés. Ensembles, ils ont décidé de revenir sur les lieux où, quelques décennies plus tôt, ils ont été victimes et témoins de la barbarie des Nazis. Nous sommes en ex-Yougoslavie, en 1993. Cessia et Kazik, déjà mariés au moment de l’Holocauste, (se) racontent pour la première fois les tortures dont ils ont faits l’objet. Séparés à leur entrée dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, c’est avec étonnement et incompréhension que j’assiste à leurs aveux près de 50 ans après les faits. D’autant que parmi ces aveux, Cessia révèle à Kazik les circonstances de la mort de leur fille… cela me semble improbable de la part d’une mère…
Dès la seconde partie, le récit nous projette à Auschwitz. Cessia et Kazik revivent les faits, les dialogues passent au présent. Spectateur ébahi, le lecteur découvre les lieux en même temps que le couple de personnages, au moment où leur convoi arrive à destination. Les Juifs sortent des wagons à bestiaux, s’entassent sur les quais. Il fait froid, la peur est palpable. Soudain, une femme s’affole, un homme (juif) vient d’emporter son bébé. L’homme sera abattu et la femme s’indigne. Scène surréaliste qui m’échappe, scène incongrue. Cet instinct de survie et d’humanité, tel qu’il nous est livré par Pascal Croci me semble… si peu crédible !
La suite de cette lecture fut une succession de pauses, de soupirs, de sensation de dégout à l’égard de ces visages cireux et grimaçants, de ces regards vides. Les scènes se sont succédées, toujours plus loin dans l’horreur des camps. Mais cet ouvrage n’apporte rien de nouveau !! Puis, l’agacement est survenu lorsque, au détour d’une scène étonnante, une adolescente tient des propos que l’on sent désincarnés. Dans une interview de l’auteur insérée dans les bonus de l’album, on apprendra que Croci a ressenti le besoin de parler au travers de ce personnage pour faire part d’une opinion philosophique qui l’anime. Malheureusement, on perçoit que la jeune fille n’est que le pantin de son créateur. A peine prononcés, ces propos s’étiolent au contact de l’air, sitôt lus, sitôt digérés… alors qu’ils auraient mérités d’avoir une toute autre portée.
Et la lecture du dossier inséré en annexe ne fait que conforter mon ressenti. L’auteur semble avoir enfermé ses personnages dans ses propres représentations, malgré le travail de documentation qu’il a effectué pour mener à bien cet ouvrage :
Je me rappelle que c’est grâce à la Shoah, de Claude Lanzmann, que tout est parti. La richesse des témoignages de ce documentaire m’a persuadé qu’il était possible de raconter en bande dessinée le quotidien du camp d’Auschwitz-Birkenau. A cela s’ajoutent ms propres interrogations sur la mort… Rien de morbide, juste des questions philosophies que tout être sain d’esprit devrait se poser dans sa vie. J’ai aussi peut-être voulu exorciser une peur inconsciente, car la maison où j’habitais en Seine-et-Marne a été réquisitionnée pendant la guerre par l’armée allemande. Mon atelier jouxte la pièce qui servait de messe aux officiers. A l’arrivée des Alliés, un officier de la Gestapo s’y est suicidé d’une balle dans la tête !
Quelques personnalités « connues » apparaissent subrepticement dans l’album : Isaac Stern, Josef Mengele, David Olère… mais là encore, leur présence semble convenue.
Amère et dérangeante déception.
Le teaser :
Auschwitz
One shot
Éditeur : Le Masque / Emmanuel Proust
Dessinateur / Scénariste : Pascal CROCI
Dépôt légal : septembre 2000
ISBN : 2-7024-9324-6
Bulles bulles bulles…