L’envol d’Hermès
Tandis que la brume s’épanouissait encore, engourdissant le décor déjà féerique, ils descendirent lentement l’avenue des Alliés, parée de ses
Sa voix perçait le silence avec une impudeur assumée, et venait résonner sur les pavés humides.
— J’aime cette ville. Vraiment. Admirez donc, cher ami, la superbe de ce Mercure ! Et ces immeubles fantômes alentour ! Ouvrez vos yeux !
De son doigt – qui à ce moment paraissait démesuré –, il pointa la statue musculeuse du jeune dieu malicieux. T., désormais docile disciple, regarda Mercure et, malgré une propension qu’il avait à vouloir rester maître de lui, il ouvrit grand la bouche de stupéfaction, persuadé alors d’être dans un rêve – ou d’être saoul. La statue, prise par un souffle invisible dont Pygmalion aurait rêvé, s’agita. Dans un geste lent et noble, les jambes se détachèrent de leur socle, en pliant légèrement les genoux qui paraissaient rouillés comme ceux d’un vieillard. Le jeune dieu désormais bien vivant secoua la tête de gauche à droite, tendit les bras en avant et, son casque ailé prenant vie lui aussi, se mut pour prendre son envol. Dans sa main droite et grise, l’égide qu’il tenait luisait étrangement.
Dans une envolée folle, lourd et fendant l’air nocturne, Mercure descendit de sa façade, le corps bien droit et les petites ailes ornant son casque voletant joliment. Il se tenait désormais devant eux, toujours minéral, mais animé d’une vie qui conférait à son regard une lointaine humanité. Un fantôme d’iris flottait dans la blancheur marmoréenne de ses yeux et ses traits réguliers, quoique poupins, dessinaient assez bien une forme de perfection virile. Il entrouvrit la bouche avec effort et, tout aussi lentement, tendit sa main libre pour la poser sur la joue de T. Le contact de cette peau extraordinaire sur celle du jeune homme le fit reculer d’un pas. La pierre était chaude, comme brûlée toute la journée par les ardeurs du soleil.
*
L’âmécanique
Lui ne bronche pas. Statique. Masculin. Froid comme le marbre. Machine. L’attente est sa nature. Il attend qu’on le touche. Il attend qu’on le
Elle, la folle virevolte. Avec ses cinq jambes et sa peau douce, elle fait la danse des sept voiles en s’approchant de lui. Elle hésite, trouve autre chose à toucher, fait du rangement autour de lui, puis convoque son reflet, un peu gauche. Elles sont deux.
Lui, statique toujours, mais grouillant d’impatience. Lustré, il attend qu’elle le patine. Il voit ces deux oiseaux qui bientôt fondent sur lui. Sous sa glace il sent bien qu’une sorte d’amour voit déjà le jour. Une attraction d’aimant, démente. Le contact imminent. S’il pouvait, il bougerait pour se rapprocher d’elles. Des secondes les séparent.
Plumes satinées, elles atterrissent. Lui, un peu plus tétanisé. Elles vont le faire exister. De leur union naîtront des mots des phrases des sensations humaines des gens des effacements des coquilles. Elles soufflent une vie qu’il n’acquerra jamais, mais qui le touche. Sans elles il ne donnerait rien.
Elles touchent, tapent, pianotent, s’impatientent, enchainent les pas d’une danse que personne ne maîtrise, une valse endiablée. Elles suspendent une de leurs jolies jambes dans une hésitation toute féminine. Elles font des grands écarts, des pointes, des entrechats, des pas chassés sur lui qui crève d’amour.
Le cliquetis des touches se fait roucoulement transi. Il est touché. Il n’est là que pour ça.
Vagabondes, elles repartiront. Mais reviendront. L’attente est sa nature.
Les machines n’ont pour âme que celle qu’on leur offre.
Notice biographique
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