Qui ?
Ce héros fut un type sans envergure. Je ne vous ai confié que peu d’épisodes de sa vie parce que ça n’en valait pas la peine : un tel héros, si pauvre, si neutre, peut-il attirer les regards, soutenir l’intérêt chez les lecteurs que vous êtes ? Poser la question, c’est apporter une réponse.
Il est, bien entendu, regrettable qu’un écrivain, sans doute poussé par une recherche futile, choisisse, dans le trésor des personnages qui reposent dans les caves de l’imaginaire, un simple d’esprit, faible excroissance de l’arbre de l’humanité auquel s’attachent pourtant des êtres nobles ou de monstrueux champignons vénéneux. Son nom, que vous aurez oublié, repose dans les quelques pages de cette nouvelle intitulée « Qui ? », laquelle offre peu d’intérêt ; les faits et gestes du héros ne passeront pas à l’histoire littéraire.
À quoi bon savoir que ce personnage terne est issu d’une famille moyenne, qu’il a vécu une vie sans saveur, accroché aux basques d’une épouse tout aussi insignifiante que lui ? Rien ne vous retiendra de cette triste biographie et rien ne mérite d’être retenu. Vous auriez pu juger par vous-mêmes, je n’en doute pas.
Rien, sinon une certaine fatuité d’auteur, ne m’obligeait à vous cacher des pans entiers de ce qu’il a été. J’ai craint, je l’avoue, que de fins psychologues eussent pris plaisir à analyser les arcanes d’une personnalité banale et eussent publié les fruits de leurs recherches dans une revue internationale de littérature comparée ; que des critiques se fussent empressés de construire un bâtiment dans lequel ils auraient niché l’ensemble d’une vie pour ensuite y mettre le feu, dégoûtés par l’insignifiance du personnage. Mais, demanderez-vous, pourquoi se donner la peine de créer un héros, même quelconque, si c’est pour cacher ce qu’il fut vraiment, ce qu’il recelait de précieux puisqu’il était tout de même humain ? Cette question, pour cruciale qu’elle soit à vos yeux, n’en est pas moins superfétatoire. Vous n’avez pas le droit de la poser puisque vous êtes lecteurs soumis à des caprices d’auteur.
Le triste sire n’a point connu autre chose que cette vie soumise aux caprices de toutes les malchances, n’a voulu que passer sous silence, secret, timoré, le dos courbé sous le poids des obligations. Il n’a jamais demandé la parole, n’a jamais recherché les feux de la rampe ou même d’un simple paragraphe ; il a choisi, en quelque sorte, les conditions de son existence. Direz-vous, après cet aveu, qu’il y a chez lui une force de caractère qui ne relève pas du tout de la mollesse ?
Notice biographique
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/ )
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