Chambre 7
J’étais médecin résident. Il était mon patient. Ce lundi-là, j’amorçais mon stage à l’unité des soins intensifs. Trois jours plus tôt, le septuagénaire y avait été admis. Chambre 7. Pneumonie. Il se portait mieux. Et à moi, il parlait. D’une langue belle, qui coulait comme un ruisseau au printemps. Des mots limpides, des phrases courtes, mais pleines. Une voix musicale de baryton. Avec clarté, il me disait les symptômes, avec précision, il répondait à mes questions. Il parlait à son infirmière aussi, et au préposé attitré à ses soins. Le strict minimum. Pour la situation. En présence de ses proches ? Rien, pas un mot.
Pourquoi ce mutisme ? Je lui ai posé la question.
─ Quand tout est dit, on se tait, fut sa réponse.
Drôle de réponse. Drôle de principe. Dans mon esprit d’homme moderne, seul un différend, une chicane, pouvait expliquer une attitude aussi socialement intolérable ? Se taire, bouder ceux qu’on aime, les torturer. Entêtement narcissique, obtus. Nous le pensions tous, sauf les membres de sa famille. Ils ne semblaient pas en souffrir. Ils lui parlaient, s’amusaient à ses dépens. Il en riait. Ils l’étreignaient, lui prenaient la main, le caressaient. L’amour coulait.
À sa réponse, j’ai sourcillé. Il a compris. La magie du non verbal. Il m’offrit le luxe de m’expliquer.
─ Vous, docteur, vous parlez quand vous n’avez rien à dire ? Vous aimez répliquer et déborder de votre pensée ? Vous aimez ne pas être compris, qu’on déforme vos propos ? Êtes-vous certain de la nécessité de parler, de valoriser votre égo, de satisfaire votre vanité, de justifier vos fautes, de mentir ? Est-ce équitable pour les autres, ou bon pour vous ? Ne vaut-il pas mieux être soi et agir justement avec les autres, pour les autres, les respecter, les aimer ?
Il s’est tu. Moi aussi. Qu’y avait-il à dire ?
Ce jour-là, je ne l’ai revu que de loin. De bonne humeur, il reprenait des forces. Quelques mots à l’infirmière, quelques autres au préposé. Il
La journée a pris fin, le soir est venu, la nuit a été rêvée, et le matin, je suis arrivé sur le département des soins intensifs. J’ai consulté le dossier de l’homme de la chambre 7 et lui ai annoncé son congé de l’unité des soins intensifs. Il m’a souri. Un sourire de gratitude sincère. Il n’a rien dit, m’a serré la main avec force. Tant de mots dans les doigts.
Plus tard, accompagné de sa femme, assis dans un fauteuil roulant, il a quitté le département, le sourire aux lèvres, et de la tête, a salué le personnel. Sans un mot.
Ce soir-là, en entrant chez moi, j’ai étreint ma femme. Je n’ai rien dit.
© Jean-Marc Ouellet 2012
Notice biographique
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)
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