Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Publié le 25 octobre 2012 par Chatquilouche @chatquilouche

Miroir, ô miroir…

Cher Chat,

J’ai toujours roulé en citrouille, même avant que les douze coups de minuit ne retentissent.  C’est à croire que ma bonne fée marraine n’a d’intérêts chez aucun concessionnaire.  Oh, je ne m’en plains pas, le Chat, car je ne suis pas vraiment une fille de carrosse.  En effet, étant assez rebelle aux bois dormants, je suis plutôt botte de sept lieux que pantoufle de vair, plutôt souillon que princesse.  Ce qui n’a pas empêché mon charmant de m’embrasser, quoique sur le tard, bien après que j’aie vue le loup et de m’emmener dans son royaume de fort, fort lointain où nous vécûmes heureux et eûmes beaucoup d’enfants.

Tout ça pour vous dire, le Chat, que ce n’est pas en se piquant d’être tirée à quatre fuseaux qu’on vit forcément les plus beaux contes à dormir debout.  Comprenez par cela que Catherine Deneuve ne se cache pas sous ma peau d’âne et que ma belle-mère est bel et bien toujours, de toutes, la plus belle du royaume.

Ceci dit, je ne peux pas dire que j’ai été complètement lésée à la naissance.  Ma bonne fée a quand même fait d’une baguette deux sorts, puisque penchée sur mon berceau, elle m’a donné un peu d’esprit et un peu d’humour.  Je ne suis donc ni la Belle ni la Bête.  Mais je ne suis pas à plaindre, car si j’ai la cucurbitacée bien équipée, certaines, elles, n’ont rien dans la citrouille.

Et vous, mon Minet, êtes-vous un Chat Beauté ?  Vous avez de belles moustaches certes, mais j’ai bien peur que votre strabisme ne vous disqualifie.  Et pourtant, n’est-ce pas ce qui fait votre charme ?  Alors peut-on être charmant sans être beau ?  Et inversement, peut-on être beau sans être charmant ?  En d’autres mots, pensez-vous qu’on puisse tirer la chevillette sans soigner sa bobinette ?

Tout d’abord, le problème avec la bobinette, c’est que tôt ou tard elle cherra.  En effet, la beauté, si elle est un nain-portant atout (et vous me pardonnerez mon nain-décrottable penchant pour cette métaphore florale multiplagiée), finit toujours par se faner.  Périmée, la belle ne se verra plus offrir de fleurs par un nain-connu et se trouvera donc fort dépourvue quand la bise sera venue.  Or, si la beauté passe, le charme reste et jouit de sa revanche en ne prenant aucune ride.  S’il ne flétrit point, c’est tout simplement parce que contrairement à la beauté qui se voit, qui se constate et qui correspond à des critères bien définis par la mode, l’histoire ou l’ethnie, le charme, quant à lui, se sent.  Plus subjectif que la beauté, il est intemporel.

La beauté ne se discute pas, elle s’impose physiquement.  Ce n’est pas sorcier.  Par contre, pour que le charme opère, pour qu’il ensorcèle, il faut prendre son balai par le manche.  Il faut oser.  Oser avec la voix, le geste, l’attitude, le regard, l’humour, l’odeur même.  On ne dit pas : je suis sous la beauté de cette femme.  Non.  On dit : je suis sous le charme de cette femme.  Saoul et charme.  Le charme ne va pas sans cette ivresse, ce sentiment que l’on ressent pour une autre personne.  La beauté n’est qu’une caractéristique physique, le charme est une manière d’être.  Et puis… abracadabra, le charme finit toujours par rendre beau.

Par contre, la beauté ne rend pas toujours charmant.  « Miroir, ô miroir, dis-moi que je suis la plus belle. » N’y a-t-il rien de moins charmant qu’un homme ou une femme trop sûrs de leur beauté ?  Et puis, la perfection n’est-elle pas sans surprise ?  Ne finirait-on pas par s’y habituer ?  Aucun défaut, aucun accro.  Ne manque-t-il pas alors le petit truc qui fait craquer ?

Je suis sûre que vous avez déjà croisé une très belle femme, le Chat.  Je parierai une galette et un petit pot de beurre qu’elle vous a paru inaccessible.  À quoi rime alors la beauté si on n’ose l’accoster ?

Évidemment, il arrive parfois qu’au-dessus de certains berceaux, les fées soient trop généreuses et que l’enfant grandisse en beauté, en sagesse, en humilité, en intelligence et en charme.  Alors, il était une fois l’injustice, et là, j’avoue, cher Chat, que j’aurais envie d’aller cueillir une pomme.

Sophie

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

et ”Je valide mon inscription à Paperblog sous le nom d’utilisateur “Chatquilouche”". http://www.paperblog.fr


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